mercredi 30 mars 2011

Oui mais... Ça marche pour moi!


La recherche dans le domaine de la physiothérapie est en pleine expansion.  Il y a tellement d’articles publiés que c’est presque impossible de suivre tout ce qui est publié.  Pourtant, la plupart de ces articles ne sont que très rarement lus par les cliniciens.  Certainement qu’il y a des obstacles financiers importants pour expliquer cela.  Néanmoins, c’est mon impression personnelle qu’il semble manquer d’intérêt de la part des cliniciens pour la recherche en général.  Même si les articles étaient gratuits, je ne sais pas s’ils seraient lus davantage.  Possiblement qu’une des raisons qui explique cela vient du fait que la recherche porte souvent un regard critique sur les pratiques cliniques et souvent les résultats des essais randomisés (RCT) sont peu favorables aux théories prisées par la majorité des cliniciens.  En fait, face à des résultats défavorables lors d’essais cliniques, les cliniciens vont régulièrement défendre leur traitements et leur raisonnement clinique en argumentant, souvent à l’aide d’anecdotes, que ça fonctionne pour eux.   Indépendamment des résultats peu concluant des RCT, ils remarquent que leur patients s’améliorent à bon rythme lorsque sous leur bons soins et donc, concluent que leurs traitements sont efficaces et que la recherche doit se tromper.  Possiblement que les chercheurs se trompent, c’est une possibilité effectivement.  Peut-être que le caractère rigide de la recherche ne permet pas de prendre en compte toutes les subtilités de leur pratique, disent-ils.  Ou encore, selon eux, les chercheurs n’appliquent pas adéquatement les principes de traitements enseignés et ainsi cela a un impact négatif sur les résultats des RCT.  Ces arguments méritent que l’on s’y attarde certes, néanmoins, les bons chercheurs prennent énormément soins de bien concevoir leur devis de recherche.  Ainsi, si prise de façon unitaire une seule étude ne permet pas de capturer adéquatement la pratique clinique, prises collectivement, les évidences multiples provenant de l’ensemble de la recherche permettent généralement de se faire une bonne idée de ce qui s’approche le plus de l’état des connaissances actuelles.   Comment expliquer alors, ces différences souvent considérées comme importantes?  Je vais proposer dans les prochaines lignes quelques raisons permettant d’expliquer cette apparente différence d’efficacité entre la pratique et la recherche.

Tout d’abord, l’effet placebo.  Les bons RCT ont toujours un groupe contrôle qui se fait administrer un traitement dit inerte.  Hors, ce groupe va aussi bénéficier du «traitement» même si l’efficacité de celui-ci n’est pas en lien directe avec la technique de traitement retenue.  Des effets non-spécifiques tels que ceux reliés à l’anticipation de résultats positifs créés par l’ensemble de l’acte thérapeutique vont fortement participer à l’amélioration accrue observée dans les groupes placebo lorsqu’ils sont comparés à des groupes de listes d’attente.  Ainsi, le groupe qui a reçu le vrai traitement doit non-seulement faire mieux que les gens qui ne reçoivent pas de traitement mais ils doivent aussi faire mieux que ceux qui reçoivent un traitement dit inerte pour être considéré comme efficace.  Une proportion (possiblement importante) de l’amélioration remarquée lors d’un épisode de soins doit donc être attribuée à ce phénomène complexe qui crée la réponse placebo.

Deuxièmement, il y a une multitude de facteurs autres qui peuvent influencer l’amélioration du patient lors d’un épisode de traitement laissant ainsi l’impression que le patient s’est réellement amélioré grâce à nos bons soins. Parmi ces facteurs on retrouve la régression de la condition du patient vers la moyenne. Cela fait référence au fait que la majorité des conditions musculo-squelettiques sont cycliques et que les patients consultent généralement lorsque leur symptômes atteignent un niveau de douleur inhabituellement élevé.  L’amélioration subséquente peut donc être simplement reliée à la fin de l’épisode plus douloureux et le retour vers l’état habituel de la condition.  Dans la même veine, on ne peut exclure que la disparition complètes des douleurs soit simplement du à l’évolution naturelle de la pathologie et pas du tout à l’épisode de soin en cour.  Il faut aussi considérer la possibilité que d’autres facteurs présents de façon concurrente au traitement ont influencé favorablement la condition du patient.  Par exemple, la prise de médication, le recours à d’autre forme de traitement, une diminution du stress ou une amélioration de la condition psycho-sociale du patient.  

De plus, des biais de jugement reliés au patient et au thérapeute vont influencer la perception de résultats positifs.  Ainsi, un patient qui a investi temps et argent dans le traitement, cherchera aussi certainement à se cautionner dans cette aventure et cela risque d’amplifier la perception de résultats positifs qui autrement ne seraient pas significatifs.  Dans le même ordre d’idée, il est aussi possible que le patient embellisse les résultats du traitement pour ne pas décevoir son thérapeute qui a investi beaucoup d’effort dans l’atteinte d’une solution à ses douleurs.

Du côté du thérapeute, il y a des phénomènes similaires.  Le thérapeute ayant investis temps et argent dans sa formation fera certainement face à une dissonance cognitive importante lorsque des évidences défavorables lui seront présentées.  Cela aura pour impact de le rendre très critiques faces à celle-ci et  il aura possiblement tendance à minimiser les résultats négatifs.  Il se peut aussi qu’il y ait un biais de remémoration inconscient en faveur des patients qui se sont davantage améliorés.  Ainsi, le thérapeute peut avoir tendance à oublier les patients pour qui les soins ont été inefficaces. Il est aussi possible que, lorsque face à l’échec, le thérapeute ait tendance à attribuer à d’autres causes que le traitement lui-même cet échec.  Par exemple, il se pourrait que le patient soit accusé de ne pas avoir fait suffisamment les exercices.  Évidemment, l’argent joue aussi un rôle important dans l’aveuglement involontaire envers les évidences défavorables.  Après tout, le thérapeute gagne sa vie en vendant un service qu’il prétend efficace. Il est donc certainement envisageable qu’un évitement inconscient des résultats défavorables s’opère.  Ce phénomène risque d’être encore plus vrai pour des actionnaires de clinique, la pression financière étant plus forte.  

Ces exemples ne sont qu’un survol des raisons pour lesquelles de simples observations empiriques de l’amélioration de nos patients ne suffisent pas à démontrer l’efficacité de nos traitements.  Ces observations ne peuvent se substituer à une méthode scientifique rigoureuse qui prend les moyens de contrôler les facteurs pouvant confondre les conclusions tirées de simples observations.  Par contre, les évidences scientifiques ne peuvent pas non plus remplacer le jugement clinique et l’expérience.  Au contraire, elles doivent s’y greffer pour permettre un raisonnement clinique optimal.  En sommes, il existe plusieurs raisons faisant en sorte que parfois les données scientifiques semblent aux antipodes de nos observations journalières.  Mais avant de conclure que la recherche se trompe, il serait préférable de se poser quelques questions.

Références : pour une lecture plus approfondie sur le sujet voir cet article de Barry Beyerstein, PhD

vendredi 18 mars 2011

Arthrose au genou et mécanismes d'action des traitements

La douleur au genou est une plainte fréquente dans la population et aussi parmi nos patients.  Une des causes fréquemment rapportée de douleur au genou chez la population de plus de 45 ans est l’arthrose du genou.  Celle-ci se retrouve fréquemment au niveau du compartiment interne de l’articulation fémoro-tibiale ainsi qu’en rétro-patellaire.  Il est fréquemment proposé que cette dégénérescence soit une cause de douleur au genou.  Néanmoins, les études par imagerie (R-X et IRM) démontrent que la dégénérescence est non seulement fréquente chez les gens de plus de 40 ans mais elle est très souvent asymptomatique.  Dans une récente étude publiée dans le Journal of Bone and Joint Surgery, on rapporte une prévalence d’arthrose définie radiologiquement de près de 62% chez la femme dans la cinquantaine.  Le taux d’arthrose modérée à sévère quant à lui se situe à plus de 25%.  Chez les gens pour qui on retrouve ces changements dégénératifs, une autre étude rapporte que environ 60% d’entre eux auront aussi des changements dégénératifs au niveau des ménisques.  La présence ou l’absence de changement au niveau des ménisques chez cette population ne semble pas associée à la présence de douleur mais par contre, la sévérité des changements méniscaux le serait possiblement.  La présence d’arthrose du genou, en soit, est peu associée à la présence de douleur mais la sévérité accrue de ces changements augmente le risque de douleur au genou. Il est intéressant de constater qu’un grand nombre de gens présentent des changements dégénératifs important du genou mais n’ont pas de douleur.  Ce qui nous amène inévitablement à la question pourquoi certain ont mal et d’autre pas?

Là entre en scène le phénomène de sensibilisation du système nerveux et la présence de facteurs psycho-sociaux.  Gwilym et al ont écrit un intéressant article sur le sujet en 2008.  En fait, on peut résumer simplement en disant que les facteurs qui peuvent accroitre la sensibilité du système nerveux vont amplifier les stimuli afférents provenant du genou et ainsi augmenter le niveau de menace attribué par le cerveau à certain de ces stimuli, rendant alors plus élevée la probabilité que les changements dégénératifs observés deviennent douloureux. Ainsi, si une personne est génétiquement prédisposée  au phénomène de sensibilisation centrale, si elle a des facteurs psycho-sociaux aggravants tels qu’un niveau élevé de stress et d’anxiété ainsi que la présence de craintes vis-à-vis l’activité physique, elle voit alors les chances que son arthrose deviennent douloureuse augmenter.

Dans un second temps, non seulement le lien entre la dégénérescence articulaire et la douleur est complexe et souvent faible, mais les facteurs qui semblent à l’origine de la dégénérescence sont aussi mal compris.  Bien qu’il soit fréquemment proposé que des facteurs mécaniques tels que le manque de force de certains groupes musculaires, la présence de mauvais schèmes de mouvements ou des facteurs environnementaux soient des éléments précurseurs importants dans la genèse de l’arthrose, des études récentes (1-2-3-4) démontrent que ces facteurs semblent jouer un rôle plutôt faible.  Ces caractéristiques sont souvent présentes chez les gens en douleur, néanmoins on les observe une fois la douleur présente.  Ils ont un caractère prédictif très faible dans la majorité des études longitudinales examinant les facteurs de risque de l’arthrose et de la douleur.  La génétique semblerait jouer un rôle nettement plus important que tous les facteurs mécaniques et environnementaux réunis pour expliquer la présence et le niveau d’arthrose.

Le traitement
De manière générale, les approches thérapeutiques actuelles pour traiter la douleur reliée à l’arthrose au genou demeurent limitées et insuffisantes, plusieurs patients  développant des douleurs persistantes.  En physiothérapie, des données récentes permettent de conclure que la thérapie manuelle et certains exercices aident pour diminuer les douleurs reliées à l’arthrose.  Officiellement, les mécanismes par lesquels ces traitements obtiennent leurs résultats sont encore inconnus.  Le raisonnement clinique prédominant veut que la correction des schèmes de mouvements, le renforcement des muscles faibles à l’aide d’exercices ainsi que des améliorations ciblées de la mobilité de divers tissus  vont diminuer les stress mécaniques sur les tissus affectés par l’arthrose diminuant ainsi le barrage de nociception et, conséquemment, la douleur.   Puisque les facteurs mécaniques semblent jouer seulement un rôle de second plan, il est peu probable que les effets bénéfiques soient principalement obtenus par ces mécanismes.  

Les effets de la thérapie manuelle sur la douleur au genou
Il est de plus en plus évident que la thérapie manuelle obtient ces effets analgésiques grâce à des mécanismes neurophysiologiques (5).  De plus, les effets mécaniques proposés ont peu de supports scientifiques et certains d’entre eux ont une plausibilité biologique préalable un peu ténue.  Différentes techniques de thérapie manuelle (MWM, manipulation et mobilisation) ont démontré la capacité de diminuer la sensibilité du système nerveux central en influençant, entre autre, les seuils de perception de douleur à la pression et le phénomène de sommation temporelle lors de douleur reliée à la chaleur (voir entre autre ici).  Ces effets sont immédiats, mais disparaissent cependant dans les heures qui suivent le traitement.  Ensuite, une étude récente démontre qu’une exposition répétée à de nouvelles stimulations tactiles crée une neurogénèse dans la moelle épinière.  Parmi les nouveaux neurones créés, on retrouve une grande quantité d’interneurones inhibiteurs GABA.  Hors, ces neurones jouent un rôle important dans la voie descendante inhibitrice du système nerveux central (SNC).  Cette voie semble fonctionner de manière sous-optimale chez les patients souffrant de douleur persistante reliée à l’arthrose.  Troisièmement, tel que je l’ai mentionné dans un récent commentaire, des changements corticaux chez les gens souffrant de douleur chronique impliquent des anomalies dans la représentation virtuelle des membres.  Il est probable que les stimulations tactiles générées par la thérapie manuelle aident le cerveau à rafraichir son schéma corporel, contribuant ainsi à la diminution de la douleur.  Finalement, il est aussi de plus en plus évident qu’un important effet positif de la thérapie manuelle est attribuable à un mécanisme non-spécifique relié à l’anticipation positive et au conditionnement.  Ces effets constituent en bonne partie ce que l’on considère comme l’effet placebo.  Ainsi, le contexte thérapeutique créé par le thérapeute et sa capacité à adéquatement maximiser l’anticipation d’un effet analgésique par un choix de techniques compatibles avec le système de croyance du patient vont certainement jouer un rôle prépondérant dans les résultats cliniques.

La combinaison de ces différents effets neurophysiologiques immédiats temporaires à ceux plus cumulatifs explique possiblement une bonne partie des effets positifs de la thérapie manuelle pour diminuer la douleur reliée à l’arthrose du genou.  En amenant temporairement puis graduellement de manière plus durable une diminution de la sensibilité du SNC, la thérapie manuelle peut ainsi contribuer à diminuer la connotation menaçante que le cerveau attribue aux stimuli provenant du genou arthrosé.  À  noter, le choix exact des techniques de traitement est fort probablement moins important avec ce genre de raisonnement.

Les effets de l’exercice
Les exercices de renforcement ont une efficacité démontrée pour diminuer la douleur reliée à l’arthrose du genou.  Cependant, il est questionnable que le gain de force généré par ces exercices soit le principal déterminant de la diminution de la douleur puisque, entre autre, la perte de force semble peu associée à l’apparition de la douleur au genou (2-3).  Une récente étude démontre cependant que les exercices résistés du genou provoque une libération intra-articulaire et péri-synoviale d’interlukine-10, une cytokine anti-inflammatoire.  Les effets analgésiques de ces exercices sont donc possiblement davantage associés à cette libération qu’à une augmentation de la force.  Quant aux exercices de contrôle moteur, il est possible que ceux-ci aident à obtenir un effet analgésique en rétablissant un schéma virtuel plus optimal grâce à l’attention soutenue du patient sur le membre douloureux durant ce type d’exercices.

Conclusion
En somme, il est parfaitement possible d’expliquer les effets bénéfiques des traitements actuels utilisés en thérapie manuelle par des mécanismes autres que ceux habituellement proposés.  Cet exemple du traitement de la douleur reliée à l’arthrose du genou le démontre bien.  Il faut aussi se rappeler que, peut-importe le mécanisme, ces traitements ont une efficacité limitée.  Une meilleure compréhension des mécanismes analgésiques de ces traitements pourra possiblement aider à les raffiner.  Par ailleurs, les échecs thérapeutiques ne sont possiblement pas dus à l’inhabileté du thérapeute à trouver la bonne dysfonction mais plutôt à la capacité restreinte de diminuer la sensibilité du SNC qu’ont ces différentes modalités de traitement.  Ainsi, face à une présentation douloureuse plus complexe, dans laquelle le patient a des facteurs aggravants, tel que la présence de facteurs psycho-sociaux ou génétiques associés, il est possible que les modalités traditionnelles n’arrivent pas à désensibiliser suffisamment le SNC, échouant ainsi à diminuer la douleur de façon satisfaisante.

mercredi 9 mars 2011

Un nouveau modèle pour la thérapie manuelle ?

En 2009, j’ai passé mon examen intermédiaire en thérapie manuelle, anciennement appelé la Partie A.  L’étude qu’a nécessitée la passation de cet examen m’a amené à sortir du cadre habituel de connaissances véhiculé en thérapie manuelle.  Le modèle profond de la thérapie manuelle orthopédique en est un de structure, et ce, depuis plusieurs années.  Au fil de mes lectures (beaucoup de littérature scientifique et des discussions enflammées sur le forum SomaSimple.com), j’ai réalisé que ce paradigme, essentiellement basé sur la biomécanique ou plutôt sur la patho-biomécanique, souffrait de défauts majeurs.  

Mes principaux constats d’alors furent les suivants :

1.      Les forces manuelles utilisées en thérapie manuelle sont insuffisantes pour changer le tissu conjonctif mature de façon permanente.  Que l’on parle de capsules articulaires, de muscles ou de fascias.
2.      Les facteurs mécaniques (raideurs, posture, force musculaire, alignement corporel, gestes répétitifs,…) sont de pauvres prédicateurs de douleur ou de la persistance de celle-ci.
3.      L’examen biomécanique en thérapie manuelle a une validité et une fidélité passable tout au plus.
4.      La douleur est immensément plus complexe qu’un simple apport d’information nociceptive par les fibres A-delta et C.
5.      Le cerveau et le SNC central jouent un rôle d’avant plan (le rôle titre en fait!) dans la douleur.  Ils peuvent moduler l’information sensorielle à un tel point que même des stimulations non menaçantes peuvent créer de la douleur.
6.      Plusieurs des anomalies structurales telles qu’imagées sur les IRM et rayon-X sont en réalité le reflet normal du vieillissement et sont davantage influencées par la génétique que par de quelconques raideurs, mauvaises habitudes posturales ou façons de forcer.  Elles sont très, très fréquemment asymptomatiques
7.      Il existe des évidences qui pointent vers l’adoption d’un modèle alternatif, davantage neurophysiologique, pour expliquer les bienfaits de la thérapie manuelle.
8.      Finalement, plusieurs des concepts thérapeutiques que nous utilisons ont des bases scientifiques plutôt ténues voire inexistantes.

Un autre constat, soulageant celui-là, est qu’il était normal que mon taux d’échec thérapeutique soit somme toute assez élevé. Les études concluent généralement à l’efficacité seulement partielle de la thérapie manuelle et la physiothérapie en générale pour traiter la majorité des douleurs de plus de 3 mois. Je n'avais plus à me blâmer de pas avoir su trouver LA dysfonction, le bon niveau, le bon muscle à renforcer.  Je n'avais plus à m'inscrire dans d'innombrables cours à la recherche de nouvelles techniques d'évaluation pour traiter toutes ces dysfonctions mécaniques difficilement décelables.  Exit ce si grand besoin de spécificité.   De plus, il semble qu'il n'y ait nul besoin d'être hyper-spécifique pour obtenir ces résultats positifs lorsque présents.   

Néanmoins, malgré tout ses défauts, le modèle thérapeutique qu’on m’avait enseigné et que j’avais fait mien m’avait tout de même permit d’obtenir de bons résultats à maintes reprises.  Comment, alors, expliquer ce constat?  Un modèle erroné qui semble mal comprendre les mécanismes de la douleur qui permet quand même de diminuer voire éliminer complètement cette dernière.  J’ai alors écrit mon premier article «scientifique».  J’ai fait une revue éditoriale sur les mécanismes d’action de la thérapie manuelle dans laquelle j’ai critiqué plutôt sévèrement, il faut le reconnaitre, le modèle que je crois être le modèle prévalent en thérapie manuelle.  J’ai alors opposé ce modèle biomécanique à un modèle plus neurophysiologique que je crois plus plausible.  Évidemment, dans notre domaine rien n’est complètement noir ou complètement blanc, mais l’article se voulait percutant pour inciter à la discussion.  Je n’ai finalement pas réellement tenté de le faire publié, mais il est disponible depuis maintenant environ 1 ans sur le web à plusieurs endroits et il est cité par plusieurs auteurs de blog sur la physiothérapie et la douleur.  Je vous recommande de le lire puisqu’il met en quelque sorte la table pour mon commentaire prochain sur le traitement des douleurs au genou.

The traditionnal mechanistic paradigm in the teaching and practice of manual therapy : Time for a reality check.

lundi 7 mars 2011

Douleur lombaire persistante : tout est dans le cerveau?

Le modèle traditionnel dans le traitement de la douleur lombaire persistante (DLP) en est un de structure. C’est un modèle dans lequel on présume qu’il y a un problème avec un tissu particulier dans la région lombaire et que ce tissu est responsable de la douleur.  Ainsi ces «dysfonctions» dans les tissus sont la principale cible des nombreux traitements habituels qui cherchent à «normaliser» la dysfonction en étirant, fusionnant, renforçant, dénervant ou retirant un ou des tissus.  En anglais ce modèle pour les douleurs lombaires est appelé «end organ dysfonction».  En lisant un peu la littérature scientifique, force est de constater que ce modèle est globalement peu efficace pour traiter les DLP (1-2).  Je tiens à rappeler ici que douleur persistante signifie dans ce contexte une douleur lombaire qui persiste au-delà de 3 à 6 mois.  Plus récemment, et en réponse à l’inefficacité de plusieurs des traitements actuels, la recherche a permis de démontrer, à l’aide de résonnances magnétiques fonctionnelles du cerveau  (fMRI), qu’il y avait des changements corticaux dans le cerveau des gens qui souffraient de douleur musculosquelettiques chroniques.  Un récent article (3) publié en février dans le journal Manual Therapy  est un très bon résumé des connaissances à ce sujet et leurs implications cliniques dans le traitement des DLP.  À la tête du groupe de chercheurs ayant publié cet article se trouve nul autre que Lorimer G. Moseley, physiothérapeute de formation.

Je vous suggère vivement de lire cet article en entier.  Mais je vais me permettre d’en résumer ici les principaux points saillants.

Changement de profil neurochimique
Chez des gens souffrants de DLP, les études démontrent que de multiples zones du cerveau mises à contribution dans le traitement de la douleur présentent des changements neurochimiques.  Grosso modo, la magnitude de ces changements est fonction de l’intensité et de la durée de la douleur lombaire.  De plus, des facteurs tels que l’anxiété et la dépression semblent associés à des changements plus importants.  De plus, puisque des changements similaires sont rapportés dans certaines pathologies neuro-dégénératives, on se questionne à savoir s’il n’y aurait pas une perte neuronale associée à ces changements.  Il est clair, cependant, que la neurochimie cérébrale des gens souffrant de DLP est déréglée.  Toutefois, il est impossible de dire si ces changements sont une cause des douleurs lombaires.  En fait, la douleur lombaire est fort probablement la cause des changements initialement.  Il demeure cependant incertain, mais probable, que ces changements soient à la fois une conséquence de la douleur tout en étant un élément qui participe à sa persistance.  Des études longitudinales à venir devraient permettre d’en apprendre davantage.

Changement de la matière cérébrale
Bien que préliminaires, les études démontrent qu’il semble y avoir une diminution de la matière grise du cerveau dans de nombreuses zones chez les gens souffrant de douleur chronique.   Ainsi, le thalamus, le cortex préfrontal, le cortex somatosensoriel (S1) et le tronc cérébral sont autant d’endroits où une perte de matière grise a été observée.  De plus, une corrélation est établie entre l’importance de cette perte et l’intensité de la douleur et son caractère désagréable.  Cette perte de matière cérébrale semble inquiétante à priori, cependant un entrainement cérébral fait sur des cerveaux blessés permet de renverser ce type de changement et il n’y a pas de raison de croire qu’il n’en serait pas de même chez les gens souffrant de douleur lombaire.

Changements fonctionnels dans le cortex somatosensoriel
S1 est la zone du cerveau qui contient la représentation virtuelle des membres du corps physique.  La douleur est ainsi ressentie dans cette représentation virtuelle.  Il est connu que lors de DLP, il y a une expansion de la zone représentant la région lombaire dans la zone qui représente normalement la jambe.  Il est par ailleurs possible que cette modification soit reliée au caractère émotionnel de la douleur puisque ces changements semblent surtout présents chez les gens qui sont très affligés par leur douleur.  

Activité corticale
Bien que le sujet demeure une source de désaccord, il semble y avoir des changements dans le niveau d’activité de certaines zones du cerveau chez les gens souffrant de douleur chronique.  Les stimulations nociceptives entraineraient une activité cérébrale altérée chez les sujets souffrant de douleur lombaire.  Ce changement d’activité cérébrale seraient aussi présent lors de stimulations non-nociceptives ce qui laisse supposer qu’il y a des changements dans les voies descendantes inhibitrices.  De plus, il semblerait y avoir un changement dans le niveau d’activité cérébral au repos chez les sujets atteints de DLP.

Des changements dans le cortex moteur sont aussi présents.  Une association entre l’intensité de ces changements et le délai de recrutement du transverse de l’abdomen (entre autre) est notée.  De plus, la zone d’activité corticale semble augmentée chez les gens en DLP lors de la préparation d’un mouvement actif.  Une hausse du seuil d’activation des motoneurones contrôlant les muscles lombaires a été observé ce qui suggère une diminution de la drive motrice cérébrale vers ces muscles.  

Une incertitude demeure qu’en à l’interprétation que l’on doit faire de ces changements.  Il semblerait plus probable cependant que ces changements, incluant ceux reliés au transverse de l’abdomen soient une conséquence et non une cause de la douleur lombaire.

Implication clinique de tels changements
Bien que les implications cliniques de ces changements soient loin d’être complètement connues, il est possible de faire quelques observations :

 Augmentation de la réponse aux stimulations nociceptives
Les zones du cerveau ayant une fonction d’antinociception présentent soit une réduction de leur activation ou une perte neuronale chez les sujets ayant des DLP.  Il est raisonnable de penser que cela entraine un phénomène de magnification de la nociception qui participe à la subsistance de la douleur même en l’absence de pathologie importante.  Des recherches sur l’effet placebo démontrent l’importance du cortex pré-frontal-dorso-latéral (CPFDL) dans l’effet analgésique lors d’une stimulation potentiellement douloureuse.  Puisqu’il y a une diminution de l’efficacité de l’action du CPFDL dans les sujets atteint de DLP, il est fort possible que cela ait tendance à augmenter la douleur chez ces sujets.  

De plus, puisque les sujets souffrant de DLP présentent une diminution du seuil de sensibilité aux stimuli mécaniques dans des zones qui s’étendent bien au-delà de la région lombaire (jusque sur les ongles des pouces!) cela suggère une dysfonction des mécanismes inhibiteurs corticaux davantage que simplement une pathologie lombaire.  De plus, ce type de changements n’est pas limité aux stimuli mécaniques mais aussi à d’autres stimuli tels que les stimuli visuels et ceux reliés au sens du goût.  Encore une fois, cela sous-tend un rôle cortical important dans la présentation clinique des sujets soufrant de DLP.

Il est fort probable qu’une bonne partie de l’expérience douloureuse des gens souffrant de douleur lombaire soit la conséquence de changements dans la sensibilité du système nerveux central.  Il est aussi fort probable que les changements démontrés dans le cerveau soient en partie responsables de ces changements de sensibilité.  Cela a une importance capitale pour les physiothérapeutes manuels puisque l’effet analgésique attribué à la thérapie manuelle semble fonctionner en bonne partie par un mécanisme neurophysiologique d’inhibition descendante.  L’échec des thérapies manuelles dans le traitement des DLP est donc possiblement dû au dysfonctionnement des voies inhibitrices descendantes des patients souffrant de DLP. 

Effets psychologiques et cognitifs
Il est bien démontré que les patients souffrant de DLP ont des changements d’ordre psycho-cognitif.  Entre autre, on remarque des difficultés dans des tâches impliquant des décisions émotionnelles, des difficultés à détourner l’attention lorsqu’exposé à des photos d’activités présentant une menace de blessure lombaire, des changements à la mémoire, au langage et à la flexibilité mentale pour ne nommer que ceux-ci.  Il est fort probable que des changements corticaux jouent un rôle dans ces modifications behaviorales et cognitives.

Changements dans la perception du corps
Les sujets ayant des douleurs lombaires persistantes présentent des changements dans la perception de leur dos.  Ils ont entre autre de la difficulté à reconnaitre les lettres que l’on trace sur leur dos, ont une moins bonne acuité tactile et une moins bonne proprioception.  Ils rapportent aussi parfois que leur dos ne semble plus bouger automatiquement.  Il est possible que ces changements soient attribuables à une altération de la perception corporelle.  Celle-ci étant en lien direct avec le mouvement cela permettrait d’expliquer en partie les changements de contrôle moteur observés chez les patients souffrant de DLP.

Il est aussi possible que ces dérangements dans la perception du corps jouent un rôle prépondérant dans l’expérience de la douleur en soi.  Il y a des études en cours dans ce domaine mais cela demeure spéculatif.

Cause ou conséquence ?
Bien malin est celui qui peut dire si tous ces changements dans le cerveau sont une cause ou une conséquence de la douleur.  Cependant,  nous pouvons affirmer avec une certaine confiance qu’il y a des changements corticaux assez importants chez les patients souffrant de DLP et que ces changements démontrent des interrelations intimes avec les manifestations cliniques de la DLP.  De plus, ces observations sont congruentes avec nos connaissances sur le fonctionnement du cerveau et sont supportées par des données probantes.  À tous le moins, il faut reconnaitre que ces changements influencent négativement la  réadaptation et qu’il est envisageable qu’ils puissent aussi entraîner la persistance de la condition douloureuse.  Il est donc parfaitement raisonnable que ces modifications soient visées par des approches thérapeutiques.

À cet égard, il existe à l’heure actuelle différents traitements ayant comme cible le cerveau, on n’a qu’à penser à la thérapie avec miroir, l’imagerie motrice graduelle, les exercices de discrimination sensorielle et, bien sûr, les thérapies behaviorales et l’éducation de la neurophysiologie de la douleur.    Certaines de ces thérapies n’ont pas encore fait preuve de leur efficacité ou inefficacité, cependant la recherche dans ce domaine en est à ces débuts.

Conclusion
Il y a des changements importants dans le cerveau des gens souffrant de DLP.  Ces changements sont autant d’ordre structurel que fonctionnel.  Ils participent aux manifestations cliniques de la condition.  La nature de leur interrelation avec la douleur demeure mal comprise cependant.  Ces évidences s’ajoutent à la pléthore d’évidences démontrant que les douleurs lombaires sont largement plus complexes que de simples dérangements biomécaniques. Les modifications neurophysiologiques sont bien davantage que des facteurs aggravant s’ajoutant à la traditionnelle cause biomécanique prétendue.  Au contraire, ces modifications sont partie prenante de la condition et jouent possiblement un rôle prépondérant dans la subsistance de celle-ci. Le raisonnement clinique en physiothérapie et les traitements qui en découlent devraient donc être adaptés en conséquence.

  1. van Tulder MW, Koes B, Malmivaara A. Outcome of non-invasive treatmentmodalities on back pain: an evidence-based review. European Spine Journal, 2006a;15:S64e81. 
  2. van Tulder MW, Koes B, Seitsalo S, Malmivaara A. Outcome of invasive treatmentmodalities on back pain and sciatica: an evidence-based review. EuropeanSpine Journal 2006b;15:S82e92.
  3. Wand BM, Parkitny L, O'Connell NE, Luomajoki H, McAuley JH, Thacker M, Moseley GL. Cortical changes in chronic low back pain: current state of the art and implications for clinical practice. Man Ther. 2011 Feb;16(1):15-20. Epub 2010 Jul 23.