lundi 7 mars 2011

Douleur lombaire persistante : tout est dans le cerveau?

Le modèle traditionnel dans le traitement de la douleur lombaire persistante (DLP) en est un de structure. C’est un modèle dans lequel on présume qu’il y a un problème avec un tissu particulier dans la région lombaire et que ce tissu est responsable de la douleur.  Ainsi ces «dysfonctions» dans les tissus sont la principale cible des nombreux traitements habituels qui cherchent à «normaliser» la dysfonction en étirant, fusionnant, renforçant, dénervant ou retirant un ou des tissus.  En anglais ce modèle pour les douleurs lombaires est appelé «end organ dysfonction».  En lisant un peu la littérature scientifique, force est de constater que ce modèle est globalement peu efficace pour traiter les DLP (1-2).  Je tiens à rappeler ici que douleur persistante signifie dans ce contexte une douleur lombaire qui persiste au-delà de 3 à 6 mois.  Plus récemment, et en réponse à l’inefficacité de plusieurs des traitements actuels, la recherche a permis de démontrer, à l’aide de résonnances magnétiques fonctionnelles du cerveau  (fMRI), qu’il y avait des changements corticaux dans le cerveau des gens qui souffraient de douleur musculosquelettiques chroniques.  Un récent article (3) publié en février dans le journal Manual Therapy  est un très bon résumé des connaissances à ce sujet et leurs implications cliniques dans le traitement des DLP.  À la tête du groupe de chercheurs ayant publié cet article se trouve nul autre que Lorimer G. Moseley, physiothérapeute de formation.

Je vous suggère vivement de lire cet article en entier.  Mais je vais me permettre d’en résumer ici les principaux points saillants.

Changement de profil neurochimique
Chez des gens souffrants de DLP, les études démontrent que de multiples zones du cerveau mises à contribution dans le traitement de la douleur présentent des changements neurochimiques.  Grosso modo, la magnitude de ces changements est fonction de l’intensité et de la durée de la douleur lombaire.  De plus, des facteurs tels que l’anxiété et la dépression semblent associés à des changements plus importants.  De plus, puisque des changements similaires sont rapportés dans certaines pathologies neuro-dégénératives, on se questionne à savoir s’il n’y aurait pas une perte neuronale associée à ces changements.  Il est clair, cependant, que la neurochimie cérébrale des gens souffrant de DLP est déréglée.  Toutefois, il est impossible de dire si ces changements sont une cause des douleurs lombaires.  En fait, la douleur lombaire est fort probablement la cause des changements initialement.  Il demeure cependant incertain, mais probable, que ces changements soient à la fois une conséquence de la douleur tout en étant un élément qui participe à sa persistance.  Des études longitudinales à venir devraient permettre d’en apprendre davantage.

Changement de la matière cérébrale
Bien que préliminaires, les études démontrent qu’il semble y avoir une diminution de la matière grise du cerveau dans de nombreuses zones chez les gens souffrant de douleur chronique.   Ainsi, le thalamus, le cortex préfrontal, le cortex somatosensoriel (S1) et le tronc cérébral sont autant d’endroits où une perte de matière grise a été observée.  De plus, une corrélation est établie entre l’importance de cette perte et l’intensité de la douleur et son caractère désagréable.  Cette perte de matière cérébrale semble inquiétante à priori, cependant un entrainement cérébral fait sur des cerveaux blessés permet de renverser ce type de changement et il n’y a pas de raison de croire qu’il n’en serait pas de même chez les gens souffrant de douleur lombaire.

Changements fonctionnels dans le cortex somatosensoriel
S1 est la zone du cerveau qui contient la représentation virtuelle des membres du corps physique.  La douleur est ainsi ressentie dans cette représentation virtuelle.  Il est connu que lors de DLP, il y a une expansion de la zone représentant la région lombaire dans la zone qui représente normalement la jambe.  Il est par ailleurs possible que cette modification soit reliée au caractère émotionnel de la douleur puisque ces changements semblent surtout présents chez les gens qui sont très affligés par leur douleur.  

Activité corticale
Bien que le sujet demeure une source de désaccord, il semble y avoir des changements dans le niveau d’activité de certaines zones du cerveau chez les gens souffrant de douleur chronique.  Les stimulations nociceptives entraineraient une activité cérébrale altérée chez les sujets souffrant de douleur lombaire.  Ce changement d’activité cérébrale seraient aussi présent lors de stimulations non-nociceptives ce qui laisse supposer qu’il y a des changements dans les voies descendantes inhibitrices.  De plus, il semblerait y avoir un changement dans le niveau d’activité cérébral au repos chez les sujets atteints de DLP.

Des changements dans le cortex moteur sont aussi présents.  Une association entre l’intensité de ces changements et le délai de recrutement du transverse de l’abdomen (entre autre) est notée.  De plus, la zone d’activité corticale semble augmentée chez les gens en DLP lors de la préparation d’un mouvement actif.  Une hausse du seuil d’activation des motoneurones contrôlant les muscles lombaires a été observé ce qui suggère une diminution de la drive motrice cérébrale vers ces muscles.  

Une incertitude demeure qu’en à l’interprétation que l’on doit faire de ces changements.  Il semblerait plus probable cependant que ces changements, incluant ceux reliés au transverse de l’abdomen soient une conséquence et non une cause de la douleur lombaire.

Implication clinique de tels changements
Bien que les implications cliniques de ces changements soient loin d’être complètement connues, il est possible de faire quelques observations :

 Augmentation de la réponse aux stimulations nociceptives
Les zones du cerveau ayant une fonction d’antinociception présentent soit une réduction de leur activation ou une perte neuronale chez les sujets ayant des DLP.  Il est raisonnable de penser que cela entraine un phénomène de magnification de la nociception qui participe à la subsistance de la douleur même en l’absence de pathologie importante.  Des recherches sur l’effet placebo démontrent l’importance du cortex pré-frontal-dorso-latéral (CPFDL) dans l’effet analgésique lors d’une stimulation potentiellement douloureuse.  Puisqu’il y a une diminution de l’efficacité de l’action du CPFDL dans les sujets atteint de DLP, il est fort possible que cela ait tendance à augmenter la douleur chez ces sujets.  

De plus, puisque les sujets souffrant de DLP présentent une diminution du seuil de sensibilité aux stimuli mécaniques dans des zones qui s’étendent bien au-delà de la région lombaire (jusque sur les ongles des pouces!) cela suggère une dysfonction des mécanismes inhibiteurs corticaux davantage que simplement une pathologie lombaire.  De plus, ce type de changements n’est pas limité aux stimuli mécaniques mais aussi à d’autres stimuli tels que les stimuli visuels et ceux reliés au sens du goût.  Encore une fois, cela sous-tend un rôle cortical important dans la présentation clinique des sujets soufrant de DLP.

Il est fort probable qu’une bonne partie de l’expérience douloureuse des gens souffrant de douleur lombaire soit la conséquence de changements dans la sensibilité du système nerveux central.  Il est aussi fort probable que les changements démontrés dans le cerveau soient en partie responsables de ces changements de sensibilité.  Cela a une importance capitale pour les physiothérapeutes manuels puisque l’effet analgésique attribué à la thérapie manuelle semble fonctionner en bonne partie par un mécanisme neurophysiologique d’inhibition descendante.  L’échec des thérapies manuelles dans le traitement des DLP est donc possiblement dû au dysfonctionnement des voies inhibitrices descendantes des patients souffrant de DLP. 

Effets psychologiques et cognitifs
Il est bien démontré que les patients souffrant de DLP ont des changements d’ordre psycho-cognitif.  Entre autre, on remarque des difficultés dans des tâches impliquant des décisions émotionnelles, des difficultés à détourner l’attention lorsqu’exposé à des photos d’activités présentant une menace de blessure lombaire, des changements à la mémoire, au langage et à la flexibilité mentale pour ne nommer que ceux-ci.  Il est fort probable que des changements corticaux jouent un rôle dans ces modifications behaviorales et cognitives.

Changements dans la perception du corps
Les sujets ayant des douleurs lombaires persistantes présentent des changements dans la perception de leur dos.  Ils ont entre autre de la difficulté à reconnaitre les lettres que l’on trace sur leur dos, ont une moins bonne acuité tactile et une moins bonne proprioception.  Ils rapportent aussi parfois que leur dos ne semble plus bouger automatiquement.  Il est possible que ces changements soient attribuables à une altération de la perception corporelle.  Celle-ci étant en lien direct avec le mouvement cela permettrait d’expliquer en partie les changements de contrôle moteur observés chez les patients souffrant de DLP.

Il est aussi possible que ces dérangements dans la perception du corps jouent un rôle prépondérant dans l’expérience de la douleur en soi.  Il y a des études en cours dans ce domaine mais cela demeure spéculatif.

Cause ou conséquence ?
Bien malin est celui qui peut dire si tous ces changements dans le cerveau sont une cause ou une conséquence de la douleur.  Cependant,  nous pouvons affirmer avec une certaine confiance qu’il y a des changements corticaux assez importants chez les patients souffrant de DLP et que ces changements démontrent des interrelations intimes avec les manifestations cliniques de la DLP.  De plus, ces observations sont congruentes avec nos connaissances sur le fonctionnement du cerveau et sont supportées par des données probantes.  À tous le moins, il faut reconnaitre que ces changements influencent négativement la  réadaptation et qu’il est envisageable qu’ils puissent aussi entraîner la persistance de la condition douloureuse.  Il est donc parfaitement raisonnable que ces modifications soient visées par des approches thérapeutiques.

À cet égard, il existe à l’heure actuelle différents traitements ayant comme cible le cerveau, on n’a qu’à penser à la thérapie avec miroir, l’imagerie motrice graduelle, les exercices de discrimination sensorielle et, bien sûr, les thérapies behaviorales et l’éducation de la neurophysiologie de la douleur.    Certaines de ces thérapies n’ont pas encore fait preuve de leur efficacité ou inefficacité, cependant la recherche dans ce domaine en est à ces débuts.

Conclusion
Il y a des changements importants dans le cerveau des gens souffrant de DLP.  Ces changements sont autant d’ordre structurel que fonctionnel.  Ils participent aux manifestations cliniques de la condition.  La nature de leur interrelation avec la douleur demeure mal comprise cependant.  Ces évidences s’ajoutent à la pléthore d’évidences démontrant que les douleurs lombaires sont largement plus complexes que de simples dérangements biomécaniques. Les modifications neurophysiologiques sont bien davantage que des facteurs aggravant s’ajoutant à la traditionnelle cause biomécanique prétendue.  Au contraire, ces modifications sont partie prenante de la condition et jouent possiblement un rôle prépondérant dans la subsistance de celle-ci. Le raisonnement clinique en physiothérapie et les traitements qui en découlent devraient donc être adaptés en conséquence.

  1. van Tulder MW, Koes B, Malmivaara A. Outcome of non-invasive treatmentmodalities on back pain: an evidence-based review. European Spine Journal, 2006a;15:S64e81. 
  2. van Tulder MW, Koes B, Seitsalo S, Malmivaara A. Outcome of invasive treatmentmodalities on back pain and sciatica: an evidence-based review. EuropeanSpine Journal 2006b;15:S82e92.
  3. Wand BM, Parkitny L, O'Connell NE, Luomajoki H, McAuley JH, Thacker M, Moseley GL. Cortical changes in chronic low back pain: current state of the art and implications for clinical practice. Man Ther. 2011 Feb;16(1):15-20. Epub 2010 Jul 23.


7 commentaires:

  1. tres interessant l'article sur le DLP.
    maintenant j'aimerai faire queque reflexions...
    croyez vous que le terme es vraiment d'utilité clinique? je m'explique....
    derivé de ce classement (durée de la douleur), pouvons nous sortir des conclusions? pouvons nous construir un traitement efficace? pour trouver un traitement efficace nous devons trouver d'abord le cible pour celui-ci. que sera t-il dans ce cas? le cerveu??
    sortir une relation changement dans le cerveau-traitement du cerveau me semble un peu trop forcer l'evidence de certain choses. une evidence que je partage, reconnai et qui est interessante, ça ne me parait pas que on doit ammener dans ce cas l'evidence dans la pratique mais plutôt pour reconnaître des patrons de douleur et surtout comprendre ce qui l'arrive aux gens.
    je suis aussi les avances en neurobiologie de la douleur et il sont vraiment interessantes, l'aplication pratique de ça c'est autre choses. avez vous connaissance de l'efficacité de traitements ciblé vers le cerveau dans ce genre de conditions?
    moi je vois tout ça comme consequence et pas comme cause de la douleur. le procés ou la traduction d' une experience desagreable est vraiment personnel comme vous savez et depend de beaucoup de facteurs, notre travail à mon avis doit être plutôt dirigé vers la recherche de l'input qui va changer cette réponse-traduction-interpretation du cerveau pour pas que le procés que vous decrivez se met en route.
    pour le traitement precissement des lombalgies un terme qui utilise la durée pour lui decrire peut facilement nous faire tomber dans l'erreur de juger qu'il s'agit de douleurs chroniques avec tous ces changements au cerveau (que biensûr on ne peut pas constater en cabinet) et passer à côte d'autres facteurs mecaniques que peuvent être plus à l'origen des douleurs.

    et en allant toujours plus loin avec un spirit critique: sont- il vraiment importantes tout ces changements quand un traitement mecanique es efficace? allons nous se poser la question si le traitement avec le mouvement abouti à des resultats excellents?
    et plus: que on utilise le mouvement ou la mecanique pour traiter les douleurs lombaires ne veut pas dire que le cerveau ne reçoit pas un input et donc on l'isole du traitement: au contraire...on ne peut pas le detacher!!

    vous m'excuserez pour mes erreurs ortographiques et de grammaire.

    kinect

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  2. Au sujet des douleurs lombaires persistantes :

    D'une part, je crois que la classification sur la base de la durée est plutôt déroutante. Ce n'est pas la durée en tant que tel qui est importante, mais plutôt le mécanisme neurophysiologique sous-jacent qui explique la présentation clinique. Il est donc fort possible qu'un patient souffrant de douleur aigüe ou sub-aigüe ait certains phénomènes de sensibilisation centraux expliquant la présentation clinique. J'ai utilisé le terme DLP puisque c'est ce qui est couramment fait dans la recherche mais clairement il n'y a pas de limite fixe dans ce cas.

    Plus à venir quand le temps le permettra.

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  3. Dans le cas ou la douleur est persistante et que le mécanisme maintenant la persistance est suspecté comme étant neurophysiologique, le cerveau me semble une cible de choix pour le traitement. Ou encore le système nerveux central dans son ensemble dans son ensemble. Il est possible que l'on cherche à créer des traitements complètement novateur pour ce faire mais on peut aussi continuer d'utiliser la thérapie manuelle conventionnelle en changeant la logique derrière celle-ci. L'effet recherché devient davantage neurophysiologique et l'application du traitement devient nettement moins spécifique.

    En combinant cette thérapie manuelle plus neurophysiologique à une bonne éducation du patient ont pourra potentiellement diminuer le niveau de menace attribué aux stimuli nociceptifs (s'ils sont encore présent) aidant alors le cerveau à cesser de générer une douleur pour ce niveau de nociception.

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  4. Cause ou conséquence :

    Possiblement que les changements corticaux sont arrivé suite à l'apparition de la douleur. Néanmoins, une fois la pathologie installé, leur présence peut devenir à la fois une cause et une conséquence et le tout devient un phénomène autonome qui s'auto-renforce un peu comme une boucle de rétroaction.

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  5. À propos des effets mécaniques :

    La littérature nous dit que ces effets sont temporaires tout au plus, si même présents. Quant à l'efficacité des traitements (pour la DLP) actuels basés sur le modèle mécanique, notons qu'elle est modérée tout au plus. La grandeur de l'effet de ces traitements est souvent faible dans la littérature et le mécanisme par lequel ces effets sont obtenus demeurent incertains.

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  6. le probleme qui trouve la kinesitherapie cest d'abord celui de ne pas pouvoir ciblé quels sont le patients qui peuvent se beneficiaire de quels interventions.
    les etudes en general porte des erreurs dans leur conception, si on ne cible pas un groupe de patient et on defini pas mieux qui est le groupe sur lequel on va intervenir il me semble difficil que le resultats soit positifs.
    après c'est sur qu'il faut enterrer le modele existant en ortopedie dans lequel tout tourne autour de l'estructure. hereusement on commence a comprendre que nous allons pas dans le bon sense....mais qui dit modele mecanique ne dit pas estructurel, attention! ça n'etait pas ça ce que je voulais dire.
    a propos des lombalgies le terme me semble general, ne voulant rien dire du tout. il y a des etudes qui classifiquent les lombalgies avec l'objetif de savoir lequels peuvent se beneficier de quoi. le resultats sont plutôt bons, l'evidence clinique fonctione. ce sont des procedures qui ont un caractere predictif et qui joue plus sur le comportament du dos au solicitation et la reponse de celui ci.
    il y a des choses, les resultats ne sont pas mauvais et on utilise un modele mecanique dans le sense que le classement de patients est basé sur la direction de preference vers la quel nous pouvons pre-dire des resultats selons l'analise de l'histoire clinique, l'evaluation clinique, le comportament de la douleur à la charge et les effects sur la mobilité après la solicitation.

    plus le temps maintenant....à bientôt

    kinect

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  7. Bonjour,

    Je suis d'accord que les sous-groupes sont possiblement une piste de solution. Cependant cette lecture sur le sujet permet de remettre cette possibilité en perspective

    http://www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/18221521

    http://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC2266926/?tool=pubmed

    Bonne lecture !

    À bientôt

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