vendredi 15 mai 2015

NeuPSIG Nice 2015 - Débat : La douleur neuropathique persistante est-elle le résultat d'un trouble du SNC ou plutôt du SNP?

Nice 2015 - NeuPSIG Neuropathic Pain International Congress
J'ai assisté cette après midi à ce débat, très intéressant, sur ce que je considère comme l'une des interrogations principales qui devrait motiver notre pratique. Persiste-il un flux nociceptif afférent dans la périphérie lors d'une douleur neuropathique chronique et ce flux est-il requis pour que cette douleur soit ressentie de manière persistante. 

Tony Dickensen PhD et professeur en neuropharmacologie au University College London était chargé de défendre l'idée que la perpétuation de la douleur neuropathique persistante est occasionnée par le SNC. Voici un résumé de ses arguments :

  • Il est d'avis qu'une lésion nerveuse périphérique part le bal mais que le SNC peut entretenir la douleur à lui seul par la suite.
  • Une minorité de sujets présentant des dommages aux nerfs périphériques ont de la douleur.
  • De multiples changements neuroplastiques sont présents dans la moelle épinière lors d'une neuropathie.
  • Ces changements augmentent la sensibilité du réseau de neurones ascendant de la corne postérieur de la moelle par des mécanismes tel que le wind-up pouvant multiplier par quatre l'intensité ressentie de stimulations douloureuses.
  • La présence de douleurs référées témoigne d'une implication centrale.
  • La médication agissant sur le SNC telle la kétamine et la pregabaline atténue les douleurs neuropathiques persistantes.
  • L'allodynie démontre que des fibres non nociceptives peuvent activer des neurones nociceptifs ascendant dans la moelle par des mécanismes centraux.
  • On dénote une présence de troubles associés d'ordre émotif impliquant grandement le système limbique. Et, lorsque le système limbique est désactivé expérimentalement la douleur diminue.
  • On retrouve également des modifications à la cognition, au sommeil et à d'autres fonctions supérieures.
  • Le niveau d'activation de la substance grise periaqueductale est corrélé à l'intensité de la douleur.
  • On remarque une augmentation de la facilitation descendante dans la douleur neuropathique et la destruction de la zone du cerveau responsable de cette facilitation peut éviter à la douleur persistante de se développer.
  • Des changements dans la libération d'adrénaline sont liés à la douleur persistante. Le contrôle de cette libération par une médication agissant sur celle-ci peut contrôler la douleur neuropathique.

Ce furent ses grands points en faveur d'une cause centrale.


Jordi Serra MD neurologiste et neurophysiologiste au Kings Hospital London défend plutôt la thèse que le coupable de la douleur neuropathique persistante se situe dans le SNP.

  • Il convient que le cerveau joue un grand rôle de modulateur mais il croit qu'un input nociceptif est nécessaire pour la subsistance de la douleur.
  • Le transfert d'information dans le système nerveux se faisant par potentiels d'action, il se doit d'y avoir un générateur de potentiel d'action nociceptif quelque part. De l'hyposensibilité suggère l'arrivée de moins de potentiels d'action et de l'hypersensibilité suggère à tout le moins l'arrivée de signaux nociceptifs par les fibres A-delta ou C.
  • Les changements démontrés dans la périphérie lors de douleur neuropathique persistante sont nombreux, ils vont d'une décharge spontanée ectopique à une altération de la densité des fibres nerveuses, de leur morphologie, de leur perfusion et j'en passe.
  • Il dit que les nocicepteurs de sujets normaux ne déchargent pas de manière spontanée alors qu'ils le font lors de douleur neuropathique persistante et que ces décharges spontanées sont corrélés avec la présence de la douleur. Il croit qu'ils doivent donc jouer un rôle prédominant.
  • Il rapporte des cas où de la douleur neuropathique chronique est immédiatement et complètement abolie par une infiltration de lidocaine (dans un neurome par exemple).
  • Il mentionne qu'une stimulation des fibres C résulte en une sensation de brûlement, sensation fréquemment ressentie de manière chronique.
  • Il en profite au passage pour rappeler que les médicaments agissant sur le SNC (lyrica, cymbalta,...) ont une piètre feuille de route. On doit traiter 4-6 patients pour qu'un seul s'améliore de 50% ou plus. 
  • Il croit que la douleur fantôme n'est pas une preuve de douleur d'origine centrale puisqu'en fait, le moignon contient un immense neurome recelant tout un tas d'axones endommagés déchargeant de manière ectopique. «Le cerveau se fout qu'il y ait un pied ou non, du moment qu'il reçoivent des signaux de la périphérie».
  • Il mentionne également que des changements pathologiques aux neurones périphériques peuvent être indolores s'il y a peu de neurones atteints mais vont devenir douloureux si un nombre suffisant de neurones est activé en provoquant un mécanisme de sommation spatiale dans la moelle.

En somme, ce sont ses arguments. Évidemment ce fut beaucoup plus élaboré dans les 2 cas, il ne s'agit ici qu'un d'un résumé.

J'en ai discuté de vive voix avec Lorimer Moseley, qui était présent, et il ne semblait pas affecté du tout par les arguments du Dr Serra. Êtes-vous surpris?

À vous de vous faire une idée. Alors, selon vous, est-ce un trouble périphérique ou central cette douleur neuropathique persistante?

NeuPSIG 2015 Nice - Les liens entre les comportements anxio-dépressifs et la douleur neuropathique

La première conférences à laquelle j'ai assistée hier portait sur les liens entre les comportements anxiogènes et dépressifs dans la douleur neuropathique. J'ai préparé, ci-bas, un petit résumé de cette conférence donné par les Drs E. Berrocoso, I. Yalcin et S. Baudic

1.   En laboratoire, lors d’une blessure neuropathique des comportements anxiogéniques et dépressifs vont se développer chez l’animal mais ce n’est pas visible initialement. Ces changements deviennent apparents seulement à compter de la 4e semaine après la blessure,

2.       Ces changements sont en lien avec différents mécanismes cérébraux dont
a.       Une hausse de libération de noradrénaline par le locus ceoroleus dans le lobe frontal. Ce mécanisme est différent de celui du HPA axis impliqué dans la réaction de stress. (axe Hypothalamo-pituitaire-surrénal)
                                                               i.      L’administration d’une médication anxiolytique contrôlant la libération de noradrénaline tempère l’apparition de ces symptômes anxio-dépressifs.
b.      Le cortex cingulaire antérieur joue également un rôle important dans l’apparition de ces comportements anxio-dépressifs.
                                                               i.      Mais, d’un point de vu cortical, ces composantes behaviorales semblent dissociées de la composante sensorielle puisqu’une lésion volontaire du cortex cingulaire antérieur va prévenir le développement des comportements anxiogènes et dépressifs mais ne préviendra pas la douleur spontanée et ne limitera pas l’apparition d’allodynie suite à une blessure neuropathique.

3.       Tout cela semble démontrer que c’est la douleur neuropathique qui entraine l’apparition de comportement anxio-dépressifs et non l’inverse. Cependant, ce n’est pas si simple car la présence d’anxiété et de dépression préalablement à une lésion neuropathique permet de prédire dans une certaine mesure la persistance et l’intensité de la douleur 6 mois après la lésion. Cela suggère qu’il y a donc aussi un lien de causalité potentiel entre les comportements anxio-dépressifs et le risque de chronicité lors d’une blessure neuropathique.

4.       Les liens entre la douleur neuropathique et les comportements anxiogènes et dépressifs semblent liés par des mécanismes qui sont propre à ce type de douleur car ces mécanismes sont différents lorsqu’il s’agit d’une douleur non-neuropathique.
      
       En conclusion, comme d'habitude avec la douleur, rien n'est simple et les relations entre les variables sont très complexes. À noter que, une fois la douleur disparue, Il est prouvé que les comportements anxio-dépressifs peuvent demeurer malgré tout présents. Il est donc important de s'en occuper, qu'ils aient un lien causal ou pas avec la douleur.