La douleur au genou est une plainte fréquente dans la population et aussi parmi nos patients. Une des causes fréquemment rapportée de douleur au genou chez la population de plus de 45 ans est l’arthrose du genou. Celle-ci se retrouve fréquemment au niveau du compartiment interne de l’articulation fémoro-tibiale ainsi qu’en rétro-patellaire. Il est fréquemment proposé que cette dégénérescence soit une cause de douleur au genou. Néanmoins, les études par imagerie (R-X et IRM) démontrent que la dégénérescence est non seulement fréquente chez les gens de plus de 40 ans mais elle est très souvent asymptomatique. Dans une récente étude publiée dans le Journal of Bone and Joint Surgery, on rapporte une prévalence d’arthrose définie radiologiquement de près de 62% chez la femme dans la cinquantaine. Le taux d’arthrose modérée à sévère quant à lui se situe à plus de 25%. Chez les gens pour qui on retrouve ces changements dégénératifs, une autre étude rapporte que environ 60% d’entre eux auront aussi des changements dégénératifs au niveau des ménisques. La présence ou l’absence de changement au niveau des ménisques chez cette population ne semble pas associée à la présence de douleur mais par contre, la sévérité des changements méniscaux le serait possiblement. La présence d’arthrose du genou, en soit, est peu associée à la présence de douleur mais la sévérité accrue de ces changements augmente le risque de douleur au genou. Il est intéressant de constater qu’un grand nombre de gens présentent des changements dégénératifs important du genou mais n’ont pas de douleur. Ce qui nous amène inévitablement à la question pourquoi certain ont mal et d’autre pas?
Là entre en scène le phénomène de sensibilisation du système nerveux et la présence de facteurs psycho-sociaux. Gwilym et al ont écrit un intéressant article sur le sujet en 2008. En fait, on peut résumer simplement en disant que les facteurs qui peuvent accroitre la sensibilité du système nerveux vont amplifier les stimuli afférents provenant du genou et ainsi augmenter le niveau de menace attribué par le cerveau à certain de ces stimuli, rendant alors plus élevée la probabilité que les changements dégénératifs observés deviennent douloureux. Ainsi, si une personne est génétiquement prédisposée au phénomène de sensibilisation centrale, si elle a des facteurs psycho-sociaux aggravants tels qu’un niveau élevé de stress et d’anxiété ainsi que la présence de craintes vis-à-vis l’activité physique, elle voit alors les chances que son arthrose deviennent douloureuse augmenter.
Dans un second temps, non seulement le lien entre la dégénérescence articulaire et la douleur est complexe et souvent faible, mais les facteurs qui semblent à l’origine de la dégénérescence sont aussi mal compris. Bien qu’il soit fréquemment proposé que des facteurs mécaniques tels que le manque de force de certains groupes musculaires, la présence de mauvais schèmes de mouvements ou des facteurs environnementaux soient des éléments précurseurs importants dans la genèse de l’arthrose, des études récentes (1-2-3-4) démontrent que ces facteurs semblent jouer un rôle plutôt faible. Ces caractéristiques sont souvent présentes chez les gens en douleur, néanmoins on les observe une fois la douleur présente. Ils ont un caractère prédictif très faible dans la majorité des études longitudinales examinant les facteurs de risque de l’arthrose et de la douleur. La génétique semblerait jouer un rôle nettement plus important que tous les facteurs mécaniques et environnementaux réunis pour expliquer la présence et le niveau d’arthrose.
Le traitement
De manière générale, les approches thérapeutiques actuelles pour traiter la douleur reliée à l’arthrose au genou demeurent limitées et insuffisantes, plusieurs patients développant des douleurs persistantes. En physiothérapie, des données récentes permettent de conclure que la thérapie manuelle et certains exercices aident pour diminuer les douleurs reliées à l’arthrose. Officiellement, les mécanismes par lesquels ces traitements obtiennent leurs résultats sont encore inconnus. Le raisonnement clinique prédominant veut que la correction des schèmes de mouvements, le renforcement des muscles faibles à l’aide d’exercices ainsi que des améliorations ciblées de la mobilité de divers tissus vont diminuer les stress mécaniques sur les tissus affectés par l’arthrose diminuant ainsi le barrage de nociception et, conséquemment, la douleur. Puisque les facteurs mécaniques semblent jouer seulement un rôle de second plan, il est peu probable que les effets bénéfiques soient principalement obtenus par ces mécanismes.
Les effets de la thérapie manuelle sur la douleur au genou
Il est de plus en plus évident que la thérapie manuelle obtient ces effets analgésiques grâce à des mécanismes neurophysiologiques (5). De plus, les effets mécaniques proposés ont peu de supports scientifiques et certains d’entre eux ont une plausibilité biologique préalable un peu ténue. Différentes techniques de thérapie manuelle (MWM, manipulation et mobilisation) ont démontré la capacité de diminuer la sensibilité du système nerveux central en influençant, entre autre, les seuils de perception de douleur à la pression et le phénomène de sommation temporelle lors de douleur reliée à la chaleur (voir entre autre ici). Ces effets sont immédiats, mais disparaissent cependant dans les heures qui suivent le traitement. Ensuite, une étude récente démontre qu’une exposition répétée à de nouvelles stimulations tactiles crée une neurogénèse dans la moelle épinière. Parmi les nouveaux neurones créés, on retrouve une grande quantité d’interneurones inhibiteurs GABA. Hors, ces neurones jouent un rôle important dans la voie descendante inhibitrice du système nerveux central (SNC). Cette voie semble fonctionner de manière sous-optimale chez les patients souffrant de douleur persistante reliée à l’arthrose. Troisièmement, tel que je l’ai mentionné dans un récent commentaire, des changements corticaux chez les gens souffrant de douleur chronique impliquent des anomalies dans la représentation virtuelle des membres. Il est probable que les stimulations tactiles générées par la thérapie manuelle aident le cerveau à rafraichir son schéma corporel, contribuant ainsi à la diminution de la douleur. Finalement, il est aussi de plus en plus évident qu’un important effet positif de la thérapie manuelle est attribuable à un mécanisme non-spécifique relié à l’anticipation positive et au conditionnement. Ces effets constituent en bonne partie ce que l’on considère comme l’effet placebo. Ainsi, le contexte thérapeutique créé par le thérapeute et sa capacité à adéquatement maximiser l’anticipation d’un effet analgésique par un choix de techniques compatibles avec le système de croyance du patient vont certainement jouer un rôle prépondérant dans les résultats cliniques.
La combinaison de ces différents effets neurophysiologiques immédiats temporaires à ceux plus cumulatifs explique possiblement une bonne partie des effets positifs de la thérapie manuelle pour diminuer la douleur reliée à l’arthrose du genou. En amenant temporairement puis graduellement de manière plus durable une diminution de la sensibilité du SNC, la thérapie manuelle peut ainsi contribuer à diminuer la connotation menaçante que le cerveau attribue aux stimuli provenant du genou arthrosé. À noter, le choix exact des techniques de traitement est fort probablement moins important avec ce genre de raisonnement.
Les effets de l’exercice
Les exercices de renforcement ont une efficacité démontrée pour diminuer la douleur reliée à l’arthrose du genou. Cependant, il est questionnable que le gain de force généré par ces exercices soit le principal déterminant de la diminution de la douleur puisque, entre autre, la perte de force semble peu associée à l’apparition de la douleur au genou (2-3). Une récente étude démontre cependant que les exercices résistés du genou provoque une libération intra-articulaire et péri-synoviale d’interlukine-10, une cytokine anti-inflammatoire. Les effets analgésiques de ces exercices sont donc possiblement davantage associés à cette libération qu’à une augmentation de la force. Quant aux exercices de contrôle moteur, il est possible que ceux-ci aident à obtenir un effet analgésique en rétablissant un schéma virtuel plus optimal grâce à l’attention soutenue du patient sur le membre douloureux durant ce type d’exercices.
Conclusion
En somme, il est parfaitement possible d’expliquer les effets bénéfiques des traitements actuels utilisés en thérapie manuelle par des mécanismes autres que ceux habituellement proposés. Cet exemple du traitement de la douleur reliée à l’arthrose du genou le démontre bien. Il faut aussi se rappeler que, peut-importe le mécanisme, ces traitements ont une efficacité limitée. Une meilleure compréhension des mécanismes analgésiques de ces traitements pourra possiblement aider à les raffiner. Par ailleurs, les échecs thérapeutiques ne sont possiblement pas dus à l’inhabileté du thérapeute à trouver la bonne dysfonction mais plutôt à la capacité restreinte de diminuer la sensibilité du SNC qu’ont ces différentes modalités de traitement. Ainsi, face à une présentation douloureuse plus complexe, dans laquelle le patient a des facteurs aggravants, tel que la présence de facteurs psycho-sociaux ou génétiques associés, il est possible que les modalités traditionnelles n’arrivent pas à désensibiliser suffisamment le SNC, échouant ainsi à diminuer la douleur de façon satisfaisante.
Merci pour ces explications.
RépondreSupprimerJe suis une femme de 54 ans et je souffre d'arthrose des deux genoux, dans les trois compartiments.
J'ai eu du RAA dans mon enfance et j'ai toujours été très sportive ce qui selon certains médecins, pourrait être les causes de cette arthrose.
Je prends de la glucosamine depuis 15 ans. A présent je crains de devoir cesser le sport et voudrais éviter les prothèses le plus longtemps possible.
Je pars skier prochainement et aurai une infiltration de Synvisc auparavant, est-ce une bonne solution?..sachant que c'est l'arthrose rétropatellaire qui me fait le plus souffrir.