Le concept de segment facilité est présent en physiothérapie depuis quelque temps. On associe souvent ce concept à diverses présentations douloureuses. Le segment facilité est ainsi au coeur du raisonnement clinique en thérapie manuelle. Si on fait une recherche sur pubmed, avec les termes Facilitated Segment and Pain, on obtient seulement 26 résultats. De ces résultats, la plupart discutent de conditions cardiovasculaires et n’ont rien à voir avec le concept de segment facilité tel qu’utilisé en physiothérapie. En fait, un seul article (1) discute du segment facilité dans son sens habituellement proposé en physiothérapie. Il s’agit d’un article de de Nefyn Williams datant de 1997. Si on regarde dans les références de cet article, on peut y trouver quelques rares autres textes, ceux de Korr et Denslow principalement. Korr et Denslow sont les deux ostéopathes qui ont parlés pour la première fois du segment facilité suite à une étude qu’ils ont menée en 1947. Quelques études ont paru par la suite mais depuis, pour ainsi dire, rien.
Voici ce que N. Williams rapporte des études de Korr et Denslow :
«Korr et al performed simple experiments on the paravertebral muscles and electrical skin resistance of subjects' backs, and demonstrated that the motor, pain, and sympathetic pathways, at segmental levels corresponding to somatic dysfunction, showed increased activity. They concluded that neurones in these spinal cord segments were maintained in a state of facilitation.»
Depuis, on considère que dans un segment facilité, il peut y avoir une augmentation de l’activité des motoneurones, de certaines efferences sympathiques de même qu’une sensibilisation sensorielle. Une autre des prémisses du segment facilité est que celui-ci peut survenir et être maintenu par une dysfonction somatique. Il est fréquemment proposé que des raideurs segmentaires affectant la mobilité et le tonus musculaire localement au segment atteint pourraient être responsable de la facilitation du segment. Il est aussi suggéré qu’un segment facilité pourrait provoquer l’apparition de pathologies distalement dans les structures reliées neurologiquement à ce segment. D'ailleurs, depuis plusieurs années l’examen biomécanique en thérapie manuelle vise, entre autre, à trouver les dysfonctions segmentaires (raideurs vertébrales et hypertonies musculaires localisées). On espère, en partie, qu’en améliorant la mobilité des segments dysfonctionnels, on diminuera la facilitation neurologique dans le segment et qu’ainsi qu’on allègera des contraintes biomécaniques néfastes et donc la douleur. J’ai résumé cela un peu simplement et librement, mais en gros, le raisonnement est de cet ordre. Pour que cela fonctionne, il faut croire que la présence de limitations du mouvement vertébral segmentaire (par une ankylose capsulaire par exemple) est une des causes du segment facilité ou à tout le moins de sa subsistance. Il faut aussi croire que cette facilitation neuromusculaire est capable d’induire des pathologies à distance dans le segment en induisant une hypertonie persistante néfaste mécaniquement.
Par exemple, à l'aide de cette théorie, on pourrait suggérer que des raideurs capsulaires facettaires C5-6 pourraient amener une hypertonie des extenseurs du carpe. Par la suite, cette hypertonie, combinée à d’autres facteurs (mécaniques pour la plupart), pourrait participer à l’apparition de la fameuse épicondylite. Améliorer la mobilité de C5-6 aiderait donc à mettre un terme à cette symptomatologie.
Il n’y a tout simplement pas d’études scientifiques qui supportent de telles affirmations. Néanmoins, ça semble plausible à première vue et les traitements qui en découlent ont une certaine efficacité. Rien dans la littérature scientifique ne permet d’affirmer que des raideurs segmentaires vertébrales peuvent causer ou amener la subsistance d’un segment facilité. Par ailleurs, rien de sérieux dans littérature scientifique ne supporte l’existence même du segment facilité. Ce concept n’est tout simplement pas étudié ou connu sous cette forme par la plupart des scientifiques qui étudient la douleur. Il n’y a généralement que les ostéopathes et physiothérapeutes qui utilisent cette terminologie. Ce n’est pas qu’une facilitation du système nerveux n’existe pas, bien au contraire, mais plutôt que les théories qui la sous-tendent et tentent de l’expliquer sont plutôt connues sous l’appellation Sensibilisation Centrale ou Central Sensitization en anglais.
Si on fait à nouveau une recherche dans pubmed mais cette fois ci avec les termes Central Sensitization and Pain on obtient cette fois-ci, 1393 résultats et ce nombre augmente à chaque mois. La sensibilisation centrale est présentement en train de révolutionner le domaine de la douleur et elle est le sujet de nombreux articles scientifiques chaque mois. Ce phénomène était d’ailleurs à l’avant plan dans plusieurs conférences du 13th World Pain Congress de l’IASP qui fut tenu à Montréal l’été dernier et auquel près de 7000 spécialistes de la recherche et du traitement de la douleur du monde entier ont assisté. J’étais du nombre.
La sensibilisation centrale permet de voir sous un jour nouveau un ensemble de présentations douloureuses rencontrées cliniquement. Le phénomène de sensibilisation centrale témoigne de toute la complexité du système nerveux lorsqu'il est question de douleur. Lors de la prochaine chronique, je vais tenter de démontrer pourquoi elle remplace haut la main le concept du segment facilité.
bonjour
RépondreSupprimerauriez vous des références expliquant ce qu'il se passe au niveau microscopique dans le cadre de la sensibilisation centrale
encore merci pour votre blog: il m'a incité à revoir ma pratique en profondeur; quel déclic!!!
bonne journée
En voici quelques unes.
RépondreSupprimerLatremoliere A, Woolf CJ. Central sensitization: a generator of pain
hypersensitivity by central neural plasticity. J Pain 2009;10:895–926.
Models and Mechanisms of Hyperalgesia and Allodynia, JURGEN SANDKUHLER
Physiol Rev 89: 707–758, 2009; doi:10.1152/physrev.00025.2008.
Static mechanical allodynia (SMA) is a paradoxical painful hypo-aesthesia: Observations derived from neuropathic pain patients treated with somatosensory rehabilitation
C. J. SPICHER1,2, F. MATHIS1, B. DEGRANGE1, P. FREUND2, & E. M. ROUILLER2
Somatosensory and Motor Research, March 2008; 25(1): 77–92
Livre
SCIENCE OF PAIN
Editors
Dr Allan I. Basbaum
University of California, San Francisco, CA, USA
Dr M. Catherine Bushnell
McGill University, Montreal, Quebec, Canada
Une fois toute la neurophysiologie assimilée, c'est dur de pratiquer comme avant!!
bonjour
RépondreSupprimerun grand merci: il est bon d'être conseillé et/ou encadré ( comme sur votre blog ou sur somasimple)quand de tels changements s'opèrent; le cap est difficile à suivre mais le jeu en vaut la chandelle!!!
bonne journée