La douleur au devant du genou se fait souvent attribuer le diagnostique de syndrome fémoro-rotulien (SFR). Des études rapportent qu’environ 10 à 25 % des patients qui se présentent en physiothérapie le font à cause de ce type de douleur. C’est donc un problème important. Il serait très certainement intéressant de pouvoir prédire lesquels de ses patients sont davantage à risque de développer des douleurs persistantes. Depuis ma graduation, dans l’ensemble des multiples formations que j’ai suivies, ont m’a généralement enseigné que SFR a pour cause différents facteurs, au coeur desquels se retrouvent des anomalies biomécaniques. Ainsi, un mauvais contrôle musculaire, un manque de force musculaire, une mauvaise posture ou certaines raideurs tissulaires occasionneraient tous un stress négatif sur les surfaces articulaires et, à terme, cela causerait de la douleur au devant du genou. Il est donc fréquemment proposé et généralement admis qu’une faiblesse du quadriceps, des rotateurs externes et abducteur de la hanche, des raideurs à la bandelette ilio-tibiale, de même qu’une pronation de l’arche plantaire seraient tous des facteurs qui contribueraient au mauvais alignement de la rotule, à son usure prématurée et à de la douleur. Une majorité de cliniciens s’entendraient généralement avec cette affirmation. Certains accorderaient plus d’importance à certain aspects et moins à d’autres.
Étonnement, il y a peu d’études scientifiques pour supporter ces affirmations. Certainement, plusieurs études ont démontré que les gens souffrant de SFR ont un déficit de la force du quadriceps, des rotateurs externes et abducteurs de la hanche. D’autres études ont démontré que la torsion fémorale des sujets avec des douleurs au devant du genou est différente de celle des sujets sains. Par contre, ces études n’étaient pas longitudinales et comparaient simplement le groupe de gens en douleur avec un groupe contrôle sans symptôme. Il est donc impossible de savoir si ces différences sont la cause du problème ou plutôt une conséquence. Par contre, il est bien démontré (merci au groupe de Paul Hodges) que la douleur amène d’importants changements dans le contrôle moteur. La séquence temporelle la plus probable serait donc que la douleur vient d’abord et les changements moteurs viennent en suite. De plus, je ne suis au courant d’aucune étude à ce jour qui ait cherché à démontrer que le mauvais contrôle moteur est à l’origine du SFR.
Par contre, les modèles thérapeutiques basés sur ces théories mécaniques ont un certain succès. Ainsi des traitements de physiothérapie qui encouragent le renforcement des muscles sus-mentionnés, le port d’orthèses plantaires et un programme d’amélioration du contrôle moteur sont autant de mesures qui aident (parfois modestement) à diminuer la douleur sur le devant du genou.
Deux études récentes sur le SFR permettent de jeter un regard nouveau sur le problème et nous forcent à questionner les théories mécaniques mentionnées ci-haut. En 2009, le groupe de Piva et al a publié une étude qui cherchait à trouver les facteurs qui étaient associés à la douleur et à la fonction des gens souffrant d'une douleur fémoro-patellaire. Ils ont émis l’hypothèse que la douleur serait en lien avec les différents facteurs biomécaniques décris plus haut. Ils ont aussi inclus un test sur des facteurs psychologiques reliés à la peur : le Fear-Avoidance Belief Questionnaire (FABQ). Les conclusions de leur étude sont éloquentes, mais surprenantes pour certains :
«Un aspect surprenant et confrontant de nos résultats est l’absence d’association entre les mesures de fonction musculaire (force et longueur musculaire), les caractéristiques structurales et posturales, et la qualité des mouvements avec tant la fonction physique que la douleur dans ce bassin de patients souffrant de SFR.»
Aucun des facteurs mécaniques n’était associé avec la douleur une fois que l’âge et le sexe étaient contrôlés. Plus encore, les résultats du FABQ permettaient, à eux seuls, d’expliquer 22% de la variance dans la douleur des sujets. Ainsi, la peur de la douleur était reliée à la présence de douleur et à son intensité alors que les facteurs mécaniques ne l’étaient pas! Oups, se pourrait-il que le modèle mécanique connaisse des ratés? Il n’est pas clair si la peur de la douleur est causée par la douleur elle-même ou si elle a un rôle dans l’apparition des symptômes et cette étude ne permettait certainement pas de se prononcer sur ce point. Par contre, plusieurs chercheurs étudient actuellement cet important aspect.
Une autre étude, du groupe de Collin et al en 2010 a aussi permis d’établir que la durée du présent épisode de douleur et un score bas lors d’un test fonctionnel validé sont les meilleurs prédicateurs de douleur persistante pour cette même pathologie. Dans leur étude, ni la mesure de l’arche plantaire ou l’indice de masse corporel ne permettent de déterminer qui est à risque de douleur persistante. Encore une fois ici, des facteurs mécaniques qui semblent avoir peu d’importance dans la résolution des symptômes ou leur persistance.
Je ne veux pas ici élaborer davantage le modèle de la peur et de l’évitement de la douleur (fear-avoidance). Je vais me contenter de vous laissez lire la brève définition de Piva et al :
«Le modèle propose qu’une réponse individuelle à la douleur se retrouvera dans un continuum entre deux extrêmes : une réponse d’adaptation ou de confrontation et une réponse de mal-adaptation ou d’évitement. Celui qui confronte a plus de chance de voir la douleur comme une indisposition temporaire et est plus disposé à la confronter. Il est motivé à retourner au travail et dans ses activités et ainsi, aura une récupération plus complète. Celui qui a un comportement d’évitement répond davantage aux stimuli douloureux en évitant les activités qu’il anticipe comme potentiellement douloureuses. Cela peut résulter en une pauvre performance, un niveau réduit d’activité, une surestimation de la douleur ressentie, une plus grande perte de fonction et un renforcement subséquent des pensées catastrophiques, ce qui complète le cycle de la peur et de l’évitement.»
Ce modèle est congruent avec le modèle actuel profond de compréhension de la douleur voulant que celle-ci soit en lien avec une multitude de facteurs dits bio-psycho-sociaux.
En conclusion, les résultats de l’étude de Piva et al, devraient certainement amener un questionnement sur les fondements de plusieurs approches de traitement qui reposent presque uniquement sur un modèle biomécanique pour le traitement de la douleur dite musculo-squelettique. Et bien que l’étude en question ne porte que sur le SFR, il convient de mentionner ici au passage qu’un survol des nombreuses études sur les douleurs lombaires permet de renforcer ce constat. Aussi, à la lueur de cela, il serait peut-être sage de chercher à mieux comprendre pourquoi les traitements actuellement dispensés sont efficaces si leurs objectifs étaient, à la base, un changement de variables biomécaniques finalement peu importantes dans l’avènement et le maintient du SFR.
«Alors Docteur, est-ce que j’ai peur d’avoir mal ou est-ce que j’ai peur d’avoir peur?»
- Piva SR, Fitzgerald GK, Irrgang JJ, Fritz JM, Wisniewski S, McGinty GT, Childs JD, Domenech MA, Jones S, Delitto A. Associates of physical function and pain in patients with patellofemoral pain syndrome. Arch Phys Med Rehabil 2009;90:285-95.
- Natalie J Collins, Kay M Crossley, Ross Darnell, Bill Vicenzino. Predictors of short and long term outcome in patellofemoral pain syndrome: a prospective longitudinal study. BMC Musculoskeletal Disorders 2010, 11:11.
Donc en pratique, à part dire au patient qu'il faut qu'il arrête d'avoir peur, on fait rien ^^?
RépondreSupprimerEn gros le but , si j'ai bien compris, c'est de redonner une sorte de "confiance" au patient en lui montrant que finalement il peut faire tel ou tel effort sans douleurs... On est dans une sorte de rééducation "mentale" plus que physique?
Merci pour votre commentaire.
SupprimerEn fait, on ne fait pas rien :-) ...
Simplement, il faut s'arrêter et remettre sérieusement en question l'idée que les facteurs biomécaniques externes et internes du patient jouent le rôle principal dans le problème, ils jouent possiblement un rôle moins important que préalablement proposé.
Les différents facteurs psycho-sociaux pourraient faire en sorte que le système nerveux soit davantage sensibilisé, que les voies inhibitrices descendantes soient moins efficaces et conséquemment, un même stimulus devient douloureux alors qu'il ne l'était pas précédemment. (entre autre)
Les exercices tels que ceux proposant l'amélioration du contrôle moteur, le renforcement de la hanche et du quadriceps peuvent continuer d'être utilisés. Il faut simplement remettre en question les mécanismes par lesquels ils trouvent leur efficacité. Par exemple, les exercices de renforcement libèrent une interlukine anti-inflammatoire intra et péri-articulairement à l'effort, les exercices de contrôle moteur peuvent mettre à jour le schéma virtuel dans le cortex somatosensoriel (SI), redonner confiance au patient. Les exercices de mobilisation neurale et la thérapie manuelle sont démontrés comme efficace pour diminuer la sensibilisation du SNC en influençant le seuil de douleur à la pression (PPT) par exemple.
Bref, il faut remettre les dogmes du passé en question et accepter l'incertitude.
Passionnant! Merci pour cette réponse! Concernant l'interleukine libérée lors du renforcement musculaire, l'est-elle en quantité suffisante pour expliquer une antalgie? Quid du renforcement musculaire pour toutes les pathos alors... effectivement on sait que le travail actif a été prouvé le plus efficace sur de nombreuses pathos type rachialgies... est-ce du à - en partie - à cette libération?
RépondreSupprimerSi j'ai bien compris il y a donc d'une part les facteurs biomécaniques et d'autre part les facteurs "neuro". Le seuil de la douleur est abaissé et la douleur apparait plus tôt, pour des stimulus qui, théoriquement, ne devraient pas déclencher cette douleur... Je conçois l'idée, cependant comment savoir si cette douleur est "excessive" ou non, car on sait aussi que la douleur a une "utilité", un rôle de protection, d'alerte. C'est le soucis des traitement purement antalgique par exemple chez le sportif... Donc s'efforcer à diminuer les infos nociceptives n'est-il pas un risque? Le risque étant justement de détérioré une structure et ainsi par la suite créer un mauvais mécanisme qui à son tour risque de déclencher un stimuli nociceptif...? Bref c'est l'histoire du chat qui se mord la queue ça ^^
Guillaume
(merci en tout cas pour ta réponse )
"La séquence temporelle la plus probable serait donc que la douleur vient d’abord et les changements moteurs viennent en suite. De plus, je ne suis au courant d’aucune étude à ce jour qui ait cherché à démontrer que le mauvais contrôle moteur est à l’origine du SFR"
RépondreSupprimerBonjour,
Je vous propose cet article. Il s'agit d'un suivi longitudinal d'un an chez des adolescente, pratiquant le basket ball.
The Incidence and Potential Pathomechanics of Patellofemoral Pain in Female Athletes
Gregory D. Myer, MS, CSCS,Clin Biomech. 2010 August; 25(7): 700–707.
Merci, c'est intéressant. Certes, puisque l'étude est longitudinale et que le test de saut est fait avant que la douleur n'apparaisse on peut penser que la cause de la douleur est l'augmentation de l'abd du genou lors du saut. Par contre, cela ne permet en rien de dire que cette corrélation est causale. Post hoc ergo propter hoc (à voir dans wikipedia). Il est aussi plausible que ces athlètes avaient déja un phénomène nociceptif mais pas de douleur (nociception n'égale pas douleur) en début de saison et que leur patron moteur est un patron de protection et donc un signe avant coureur d'une douleur éventuelle mais néanmoins ne constituant pas un facteur contributif en soi mais plutôt le simple reflet d'un trouble silencieux à venir.
RépondreSupprimerJe ne veux pas ici avoir l'air de dire que les facteurs mécaniques tels que ceux avancés par l'études sont inexistant ou encore qu'ils n'ont aucun rôle dans l'avènement de douleur MSK. Simplement, je veux tempérer leur importance et suggérer une prudence avant de conclure que des liens tels que ceux présentés dans la recherche que vous m'avez suggérée sont de nature causal. D'ailleurs, a cet effet, qu'en ait-il des gens, tel les coureurs mentionnés dans la discussion de l'article pour qui une telle relation n'est pas observée? Ou encore, les gens ayant un excès d'ABD mais pas de douleur? Ou encore, le fait que plusieurs des variables que les traitements à vocation biomécanique cherchent à améliorer ne semblent pas vraiment devoir s'améliorer pour que les patients aillent mieux? Ils font les exercices prescrit et la douleur diminue. Mais le contrôle moteur lui reste inchangé - ou encore le niveau d'amélioration du contrôle n'est pas en lien avec la diminution de douleur. Et si les paramètres biomécanique sont de nature morphologique et ne peuvent être changé par le traitement? On réfère en chirurgie? Nos modèles biomécaniques ont un besoin de revitalisation. Il faut être prudent avant de trop rapidement conclure au lien causal alors que ces caractéristiques ne sont possiblement que le reflet d'une pathologie naissante.