Depuis le 19e siècle et probablement même avant, le concept de vertèbres déplacées est présent dans différents manuscrits. Le fondateur de l’ostéopathie Andrew Taylor Still, né en 1828 y a fortement contribué. Le fondateur de la chiropratique, D.D Palmer s’est fortement inspiré des concepts de M. Taylor Still, de concepts de thérapie magnétique ainsi que des traditions folkloriques des «ramancheurs» de l’époque pour donner naissance à la Chiropractie en 1895. Depuis ce temps, les théories voulant que des vertèbres se «déplacent», se subluxent ou se «fixent» abondent dans différentes professions telles que la chiropractie, l’ostéopathie et dans une certaine mesure aussi en physiothérapie. Ces soi-disant déplacements/fixations sont des concepts assez courants dans le vocabulaire des professions mentionnées plus-haut et sont la justification pour avoir recours à la manipulation vertébrale. La manipulation vertébrale, mouvement sec et rapide de haute vélocité, aurait donc pour but de «replacer» la vertèbre déplacée ou de débloquer un niveau vertébral fixé.
La théorie exacte va varier selon que l’on soit un chiropracticien, un ostéopathe ou un physiothérapeute. Règle générale, la croyance veut que les douleurs du patient soient dues à une certaine forme de déplacement ou de fixation d’un niveau vertébral ce qui amènerait différents problèmes mécaniques ou neurologiques, lesquels mèneraient ultimement à une pathologie. Le mouvement sec et rapide de la manipulation aurait comme fonction de redonner une fonction normale au niveau dysfonctionnel et ainsi diminuer ou éliminer la douleur du patient. Tout cela est intéressant, même séduisant. Cependant, sur quelles bases scientifiques reposent ces théories ?
Tout d’abord, il convient de dire que la découverte de telles anomalies (fixation/déplacements/subluxations) repose entièrement sur le questionnaire et l’évaluation manuelle du thérapeute. Il serait impossible de voir ces soi-disant dysfonctions sur des rayon-X ou sur des résonances magnétiques. D’ailleurs, aucune recherche scientifique à ce jour n’a jamais mis ces lésions en évidence. Ceci est problématique, d’autant plus que de nombreuses recherches scientifiques ont permis de démontrer que les techniques manuelles d’évaluation permettant de trouver ces prétendues lésions sont imprécises et peu fiables. Ainsi, sur un même patient, plusieurs thérapeutes, croyant avoir trouvé un déplacement particulier, arriveront fréquemment à des conclusions différentes. De plus, lors de tests à l’aveugle, des thérapeutes n’arrivaient même pas à identifier adéquatement quels patients avaient reçu ou pas la correction au «déplacement» qu’ils avaient préalablement diagnostiqué.
En fait, les diverses théories voulant que les vertèbres puissent se subluxer/fixer reposent tous sur des évidences anecdotiques et n’ont jamais été prouvées scientifiquement. Il n’y aucune évidence scientifique valide à ce jour démontrant que ces «déplacements» sont une réelle entité. Hors, la somme des connaissances scientifiques actuelles en neurophysiologie de la douleur permet d’expliquer de façon beaucoup plus crédible les phénomènes observés chez les patients et rapportés comme des déplacements vertébraux. Les caractéristiques associées à ces «déplacements» peuvent ainsi s’expliquer par les différents mécanismes du système nerveux en réponse à la douleur ou à une blessure des tissus mous. Ce qui est considéré comme une subluxation est donc possiblement parfois davantage une certaine forme de réaction réflexe orchestrée par le système nerveux en réponse à une blessure ou à un tissu devenu dysfonctionnel.
Qu’en est-il alors des manipulations vertébrales ?
Malgré le fait que les subluxations/fixations de vertèbres, de côtes ou de certaines autres articulations n’existent probablement pas, il n’en demeure pas moins que dans certains cas bien précis, les manipulations de la colonne soient parfois efficaces pour diminuer les douleurs. Des critères scientifiquement validés et très spécifiques (CPR) peuvent possiblement (rien n'est encore définitif de ce côté) permettre de déterminer si une personne a de bonnes chances de répondre favorablement à une manipulation vertébrale. Parmi ces critères, il n’est absolument pas question de la découverte d’un complexe déplacement d’une vertèbre ou d’une dysfonction importante de la mobilité vertébrale.
L’efficacité des manipulations dans de tels cas, est probablement davantage reliée à une combinaison d’effets neurophysiologiques tant spécifiques que non-spécifiques et n’a rien à voir avec la réduction prétendue d’une vertèbre qui s’était subluxée ou fixée.
Les points importants à retenir
· Les «déplacements», subluxations, fixations des vertèbres (ou d’autres articulations) diagnostiquées par divers professionnels de médecines alternatives n’existent fort probablement pas et proviennent davantage de la perpétuation de croyances et de théories issues du folklore de ces diverses médecines.
· Malgré tout, dans certains cas bien précis, des manipulations vertébrales pourraient possiblement être parfois un moyen efficace pour diminuer plus rapidement certaines douleurs mais en aucun cas ne sont elles d'une absolue nécessité pour régler le problème.
Références
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