mercredi 13 avril 2011

Réflexions sur la manipulation vertébrale


Pratiquée depuis l’époque de Galen et d’Hippocrate et possiblement même depuis des millénaires, cette technique thérapeutique ne cesse de soulever les passions.  Elle est devenue un peu plus mainstream avec l’arrivée de la chiropractie et de l’ostéopathie à la fin du 19e siècle mais était pratiquée depuis longtemps auparavant par les bone setters/ramancheurs et par moult autres pratiquants à travers les siècles.  Les physiothérapeutes ont utilisée cette modalité de traitement depuis le début des années 1900 parallèlement à la chiropractie et l’ostéopathie.  La médecine moderne a toujours vue d’un mauvais œil la pratique de la manipulation mais elle est graduellement devenue un peu plus acceptée avec le temps et cela est possiblement dû en partie à James Cyriax, le célèbre médecin, dont le père était un physiothérapeute qui pratiquait la manipulation.  Toutes sortes de vertus ont été accordées à la manipulation, particulièrement au niveau vertébral.  En ostéopathie et en chiropractie, depuis le départ, à la fin des années 1800, et même encore aujourd’hui, ont croit que la manipulation peut guérir toutes sortes de pathologies viscérales et systémiques.  Bien sûr, depuis longtemps ont croit que la manipulation peut aider à diminuer voire éliminer la douleur musculo-squelettique et restaurer la mobilité articulaire.  En physiothérapie, c’est généralement le but visé par les traitements et un physiothérapeute qui s’aventure aujourd’hui à promouvoir la manipulation pour traiter des troubles systémiques s’exposerait à des mesures disciplinaires.  

Il est certainement étonnant (peut-être pas me direz vous) que la manipulation ait survécu  toutes ces années sans grands changements à ses concepts fondamentaux.  Pour se remettre dans le contexte, il faut spécifier que la manipulation est devenue plus populaire à une époque où ont faisait des saignés et d’autres pratiques médicales probablement plus nuisibles qu’autre chose.  Beaucoup de concepts de traitements médicaux ont vu le jour et disparu pendant que la manipulation a su rester.  À mes yeux c’est étonnant.  Serait-ce un gage de son efficacité?   Bien malin celui qui peut répondre à cette question.  Certainement que dans le traitement de la douleur, l’efficacité modeste des traitements médicaux donne des munitions aux partisans de la manipulation, mais ce sujet est bien plus complexe et ce n’est pas à moi de répondre à cette question. Dans les prochaines lignes, je veux simplement jeter mes idées, mes concepts sur la table quant à l’état actuel des choses sur la manipulation.

La dysfonction mécanique

Le concept est simple, une dysfonction articulaire prenant la forme d’une hypomobilité, d’une fixation, d’une subluxation ou d’une lésion, selon le terme choisi, va causer un dé-balancement mécanique quelconque qui, à son tour, va entrainer des compensations mécaniques diverses pour ultimement amener à une condition douloureuse.  La manipulation, dans cette optique, est alors utilisée pour rétablir l’harmonie articulaire en «replaçant» la vertèbre, en réduisant la fixation, en rétablissant la mobilité.  Bref, la manipulation restaure la biomécanique normale et ainsi règlerait le dé-balancement à la cause du problème.  C’est généralement, encore aujourd’hui, la méthode de raisonnement utilisée par la plupart des physiothérapeutes qui manipulent.  Le problème c’est que ce raisonnement ne s’appuie pas sur des évidences scientifiques de qualités.  En fait, il y a de plus en plus d’évidences disponibles démontrant que la manipulation est efficace (modestement j’ajouterais) pour traiter diverses douleurs.  Mais il n’y a pas d’évidence de qualité pour appuyer le thèse des subluxations/fixations.  Il n’y a pas non plus d’évidence pour soutenir l’idée voulant que la manipulation entraine un changement objectivable de la position de repos d’une vertèbre en relation à une autre.  Dans son ensemble, la littérature ne supporte pas non plus, l’idée que la thérapie manuelle en générale permette d’obtenir des changements durables dans la longueur et la souplesse des tissus conjonctifs.  La littérature suggère aussi que, bien souvent, les méthodes d’évaluations des thérapeutes manuels manquent de validité, de fidélité et de spécificité.  Certainement cela devrait amener un questionnement sur les théories sous-jacentes, non?  Comment expliquer les résultats positifs si plusieurs fondements théoriques sont plutôt fragiles.  Si au niveau clinique beaucoup demeurent encore convaincu de la véracité de la logique de dysfonction biomécanique pour expliquer les bienfaits de la manipulation, la recherche semble être passée à un autre niveau, celui des effets neurophysiologiques. Voilà qui est certainement un pas dans la bonne direction, mais est-ce vraiment la route vers une réponse satisfaisante à notre questionnement sur la manipulation?

Le modèle neurophysiologique

De plus en plus d’évidence s’empilent actuellement sur les effets neurophysiologiques de la manipulation.  Je ne veux pas en faire la revue ici, mais en somme, on remarque des effets sur plusieurs processus physiologiques dans le système nerveux.  Par exemple, une diminution de la douleur à la pression, une diminution de la sommation temporelle aux stimuli de chaleur, un changement dans le tonus musculaire par un impact sur l’excitabilité des motoneurones, des changements d’ordre sympathique et j’en passe.  Bien que je salut tous les efforts pour bien comprendre ce qui se passe lors d’une manipulation, je crois toutefois que la découverte de ces effets nous amènent présentement plus de questions que de réponses.  Je m’explique.  La plupart de ces effets sont observés immédiatement après la manipulation, souvent sur des sujets sains.  Ces effets sont de courtes durées.  Il est incertain s’ils sont reliés d’une quelconque façon aux résultats cliniques.  On sait maintenant que la manipulation amène des changements dans le système nerveux mais il en va de même pour diverses approches thérapeutiques, comme le massage ou l’acupuncture par exemple.  On ne sait pas si ces effets sont pertinents où s’ils sont des artéfacts tout simplement.  Ce que l’ont sait cependant c’est qu’ils semblent non-spécifiques.  C'est-à-dire que peu importe le niveau où la manipulation est utilisée, les effets seront présent dans une zone bien plus vaste que celle visée par la manipulation. Il se pourrait aussi que ces effets immédiats ne soient pas reliés (cela demeure préliminaire) à la libération d’opiacé puisque l’administration de naloxone ne bloque pas les effets immédiats.  Aucune étude avec la naloxone n’a cependant été menée pour plus d’une séance et sur la durée de l’épisode de soin.  Il semble cependant que ces effets vont généralement amener une diminution de la sensibilité du système nerveux et que plusieurs problèmes douloureux pourraient avoir comme caractéristique une augmentation de la sensibilité du système nerveux.  Cette dernière donnée est certainement un point en faveur des effets neurophysiologiques de la manipulation.  

Le questionnement

On sait aussi que l’anticipation favorable ou défavorable va grandement affecter les résultats suite à une manipulation.  On a aussi des preuves qui démontrent que le bruit articulaire (pop) n’est pas requis pour que la technique soit efficace.  On sait que la technique n’a pas besoin d’être spécifique pour produire des effets neurophysiologiques ou une diminution de la douleur.  Différentes techniques de manipulation donnent les mêmes résultats.  D’autres approches de traitements médicaux, alternatifs ou physiothérapiques donnent les mêmes résultats (souvent modestes).  Tout cela m’amène à me questionner.  

Il y a eu beaucoup d’avancement dans les connaissances sur l’effet placebo.  Assez pour sérieusement remettre en question les résultats de plusieurs essais randomisés (RCT). Simplement, l’effet placebo peut être plus ou moins fort selon différents facteurs :  la crédibilité du traitement, du professionnel, selon le caractère invasif ou risqué de l’intervention, selon le nombre de fois où le traitement est répété, selon notre connaissance qu’un traitement nous est administré, ...  L’effet placebo est non-spécifique, il amène une diminution de la sensibilisation du SNC et est en bonne partie créé par la libération d’opiacés, donc la naloxone bloque une bonne partie de son effet.  Je vais me mouiller et prétendre que la manipulation n’est possiblement en fait qu’un puissant placebo.  Voici quelques points pour défendre cette prétention.  

Le pop n’est pas n’est pas nécessaire
Si une technique doit décoapter, elle amène généralement un pop audible lorsqu’elle est bien réussie.  Hors, ce pop n’est pas requis pour avoir des résultats.   Certains des patients qui ont bénéficiés de manipulations ont ainsi possiblement reçu une manipulation «manquée», mais celle-ci a tout de même été efficace.  La question légitime qui s’en suit est : Serait-il possible que les patients ont simplement bénéficié de tout le rituel thérapeutique derrière l’application de la manipulation plutôt que de la manipulation elle-même.  Cela est d’autant plus vrai si celle-ci est ratée.

Les effets neurophysiologiques sont immédiats et ne semblent pas durer
Puisque les effets immédiats sont transitoires seulement et que la douleur est diminuée sur une base progressive d’une séance à l’autre il est raisonnable de pensée que cette diminution de douleur est au moins en partie due à un autre mécanisme que celui des effets neurophysiologiques immédiats.  D’autre part, la courbe d’amélioration dans le temps des gens recevant des manipulations est très similaire à la courbe d’amélioration des gens se retrouvant dans le groupe dit placebo.  Cet autre mécanisme concurrentiel pourrait donc être similaire au placebo.  Certes, la naloxone ne bloque pas les effets immédiats de la manipulation mais aucune étude n’est disponible pour voir si elle bloquerait les effets positifs à moyen terme.  De plus, il est clairement démontré que l’anticipation de soulagement influence les effets de la manipulation ce qui suggère l’implication d’un mécanisme similaire à celui du placebo qui lui est obtenu grâce à une inhibition descendante opiacée. À noter que le mécanisme du placebo n’est pas toujours, ou uniquement, relié aux opiacés, l’incapacité hypothétique de bloquer complètement l’effet analgésique de la manipulation par la naloxone ne serait donc pas automatiquement la preuve que l’effet placebo ne joue pas un rôle important dans la diminution de la douleur lors d’une manipulation.

La non-spécificité des effets
Tout comme le placebo, les effets des manipulations semblent non-spécifiques.  C'est-à-dire qu’ils sont présents  indépendamment du niveau manipulé et dans une zone plus vaste que celle manipulée.  Cela suggère un mode d’action non-spécifique impliquant le SNC et non seulement des mécanismes périphériques.  À nouveau, ce type de mécanisme avoisine celui de l’effet placebo.  On remarque cela tant pour les effets immédiats que pour ceux observés graduellement durant un épisode de soin.

La grandeur et la courbe de l’effet
Tel que mentionné plus haut, l’effet des manipulations est souvent modeste lorsque comparé à des groupes placebos et similaire à plusieurs autres approches de traitement.  De plus, la forme de la courbe d’amélioration est très similaire à celle d’un ensemble de traitements utilisés pour les douleurs lombaires.  Cela suggère à nouveau un mode d’action non-spécifique, intimement relié à l’évolution naturelle de la pathologie.

Mon hypothèse pour l’efficacité de la manipulation dans le traitement de la douleur

La manipulation permettrait d’obtenir un certain soulagement en créant une anticipation favorable de résultats positifs en utilisant un mode de raisonnement congruent avec le système de croyances du patient (ainsi l’effet est ultimement variable selon les patients).  L’ensemble du rituel menant à la manipulation (explications, consentement, énoncé des risques, cérémonial, apparente difficulté à effectuer la technique, talent requis par le thérapeute, ...) créerait le contexte favorable à l’anticipation positive.  Possiblement que cela impliquerait plusieurs voies inhibitrices descendantes dont la voie opiacée.  Les effets immédiats de diminution de la sensibilité du SNC bien que possiblement seulement accessoires serviraient à maximiser et confirmer la pertinence des anticipations positives du patient confirmant ainsi à ses yeux l’efficacité et le bien fondé de la technique.  Tout cela aurait comme conséquence de graduellement diminuer la sensibilité du SNC et donc le niveau de menace attribué aux stimuli périphériques nociceptifs et non-nociceptifs. Il est possible que mécaniquement un certain effet transitoire soit présent mais je crois personnellement que cet effet, si présent, ne joue qu’un rôle de second plan. 

En conclusion, ce sont là mes réflexions personnelles et hypothèses sur le sujet et définitivement pas seulement des faits.  La plupart de mes affirmations sont toutefois basées sur une lecture approfondie de la littérature scientifique et je pourrais fournir des références sur demande pour plusieurs des affirmations énoncée mais puisque c’est un blog (trop long d’ailleurs) et qu’il est tard j’ai été un peu paresseux cette fois ci!

mercredi 30 mars 2011

Oui mais... Ça marche pour moi!


La recherche dans le domaine de la physiothérapie est en pleine expansion.  Il y a tellement d’articles publiés que c’est presque impossible de suivre tout ce qui est publié.  Pourtant, la plupart de ces articles ne sont que très rarement lus par les cliniciens.  Certainement qu’il y a des obstacles financiers importants pour expliquer cela.  Néanmoins, c’est mon impression personnelle qu’il semble manquer d’intérêt de la part des cliniciens pour la recherche en général.  Même si les articles étaient gratuits, je ne sais pas s’ils seraient lus davantage.  Possiblement qu’une des raisons qui explique cela vient du fait que la recherche porte souvent un regard critique sur les pratiques cliniques et souvent les résultats des essais randomisés (RCT) sont peu favorables aux théories prisées par la majorité des cliniciens.  En fait, face à des résultats défavorables lors d’essais cliniques, les cliniciens vont régulièrement défendre leur traitements et leur raisonnement clinique en argumentant, souvent à l’aide d’anecdotes, que ça fonctionne pour eux.   Indépendamment des résultats peu concluant des RCT, ils remarquent que leur patients s’améliorent à bon rythme lorsque sous leur bons soins et donc, concluent que leurs traitements sont efficaces et que la recherche doit se tromper.  Possiblement que les chercheurs se trompent, c’est une possibilité effectivement.  Peut-être que le caractère rigide de la recherche ne permet pas de prendre en compte toutes les subtilités de leur pratique, disent-ils.  Ou encore, selon eux, les chercheurs n’appliquent pas adéquatement les principes de traitements enseignés et ainsi cela a un impact négatif sur les résultats des RCT.  Ces arguments méritent que l’on s’y attarde certes, néanmoins, les bons chercheurs prennent énormément soins de bien concevoir leur devis de recherche.  Ainsi, si prise de façon unitaire une seule étude ne permet pas de capturer adéquatement la pratique clinique, prises collectivement, les évidences multiples provenant de l’ensemble de la recherche permettent généralement de se faire une bonne idée de ce qui s’approche le plus de l’état des connaissances actuelles.   Comment expliquer alors, ces différences souvent considérées comme importantes?  Je vais proposer dans les prochaines lignes quelques raisons permettant d’expliquer cette apparente différence d’efficacité entre la pratique et la recherche.

Tout d’abord, l’effet placebo.  Les bons RCT ont toujours un groupe contrôle qui se fait administrer un traitement dit inerte.  Hors, ce groupe va aussi bénéficier du «traitement» même si l’efficacité de celui-ci n’est pas en lien directe avec la technique de traitement retenue.  Des effets non-spécifiques tels que ceux reliés à l’anticipation de résultats positifs créés par l’ensemble de l’acte thérapeutique vont fortement participer à l’amélioration accrue observée dans les groupes placebo lorsqu’ils sont comparés à des groupes de listes d’attente.  Ainsi, le groupe qui a reçu le vrai traitement doit non-seulement faire mieux que les gens qui ne reçoivent pas de traitement mais ils doivent aussi faire mieux que ceux qui reçoivent un traitement dit inerte pour être considéré comme efficace.  Une proportion (possiblement importante) de l’amélioration remarquée lors d’un épisode de soins doit donc être attribuée à ce phénomène complexe qui crée la réponse placebo.

Deuxièmement, il y a une multitude de facteurs autres qui peuvent influencer l’amélioration du patient lors d’un épisode de traitement laissant ainsi l’impression que le patient s’est réellement amélioré grâce à nos bons soins. Parmi ces facteurs on retrouve la régression de la condition du patient vers la moyenne. Cela fait référence au fait que la majorité des conditions musculo-squelettiques sont cycliques et que les patients consultent généralement lorsque leur symptômes atteignent un niveau de douleur inhabituellement élevé.  L’amélioration subséquente peut donc être simplement reliée à la fin de l’épisode plus douloureux et le retour vers l’état habituel de la condition.  Dans la même veine, on ne peut exclure que la disparition complètes des douleurs soit simplement du à l’évolution naturelle de la pathologie et pas du tout à l’épisode de soin en cour.  Il faut aussi considérer la possibilité que d’autres facteurs présents de façon concurrente au traitement ont influencé favorablement la condition du patient.  Par exemple, la prise de médication, le recours à d’autre forme de traitement, une diminution du stress ou une amélioration de la condition psycho-sociale du patient.  

De plus, des biais de jugement reliés au patient et au thérapeute vont influencer la perception de résultats positifs.  Ainsi, un patient qui a investi temps et argent dans le traitement, cherchera aussi certainement à se cautionner dans cette aventure et cela risque d’amplifier la perception de résultats positifs qui autrement ne seraient pas significatifs.  Dans le même ordre d’idée, il est aussi possible que le patient embellisse les résultats du traitement pour ne pas décevoir son thérapeute qui a investi beaucoup d’effort dans l’atteinte d’une solution à ses douleurs.

Du côté du thérapeute, il y a des phénomènes similaires.  Le thérapeute ayant investis temps et argent dans sa formation fera certainement face à une dissonance cognitive importante lorsque des évidences défavorables lui seront présentées.  Cela aura pour impact de le rendre très critiques faces à celle-ci et  il aura possiblement tendance à minimiser les résultats négatifs.  Il se peut aussi qu’il y ait un biais de remémoration inconscient en faveur des patients qui se sont davantage améliorés.  Ainsi, le thérapeute peut avoir tendance à oublier les patients pour qui les soins ont été inefficaces. Il est aussi possible que, lorsque face à l’échec, le thérapeute ait tendance à attribuer à d’autres causes que le traitement lui-même cet échec.  Par exemple, il se pourrait que le patient soit accusé de ne pas avoir fait suffisamment les exercices.  Évidemment, l’argent joue aussi un rôle important dans l’aveuglement involontaire envers les évidences défavorables.  Après tout, le thérapeute gagne sa vie en vendant un service qu’il prétend efficace. Il est donc certainement envisageable qu’un évitement inconscient des résultats défavorables s’opère.  Ce phénomène risque d’être encore plus vrai pour des actionnaires de clinique, la pression financière étant plus forte.  

Ces exemples ne sont qu’un survol des raisons pour lesquelles de simples observations empiriques de l’amélioration de nos patients ne suffisent pas à démontrer l’efficacité de nos traitements.  Ces observations ne peuvent se substituer à une méthode scientifique rigoureuse qui prend les moyens de contrôler les facteurs pouvant confondre les conclusions tirées de simples observations.  Par contre, les évidences scientifiques ne peuvent pas non plus remplacer le jugement clinique et l’expérience.  Au contraire, elles doivent s’y greffer pour permettre un raisonnement clinique optimal.  En sommes, il existe plusieurs raisons faisant en sorte que parfois les données scientifiques semblent aux antipodes de nos observations journalières.  Mais avant de conclure que la recherche se trompe, il serait préférable de se poser quelques questions.

Références : pour une lecture plus approfondie sur le sujet voir cet article de Barry Beyerstein, PhD

vendredi 18 mars 2011

Arthrose au genou et mécanismes d'action des traitements

La douleur au genou est une plainte fréquente dans la population et aussi parmi nos patients.  Une des causes fréquemment rapportée de douleur au genou chez la population de plus de 45 ans est l’arthrose du genou.  Celle-ci se retrouve fréquemment au niveau du compartiment interne de l’articulation fémoro-tibiale ainsi qu’en rétro-patellaire.  Il est fréquemment proposé que cette dégénérescence soit une cause de douleur au genou.  Néanmoins, les études par imagerie (R-X et IRM) démontrent que la dégénérescence est non seulement fréquente chez les gens de plus de 40 ans mais elle est très souvent asymptomatique.  Dans une récente étude publiée dans le Journal of Bone and Joint Surgery, on rapporte une prévalence d’arthrose définie radiologiquement de près de 62% chez la femme dans la cinquantaine.  Le taux d’arthrose modérée à sévère quant à lui se situe à plus de 25%.  Chez les gens pour qui on retrouve ces changements dégénératifs, une autre étude rapporte que environ 60% d’entre eux auront aussi des changements dégénératifs au niveau des ménisques.  La présence ou l’absence de changement au niveau des ménisques chez cette population ne semble pas associée à la présence de douleur mais par contre, la sévérité des changements méniscaux le serait possiblement.  La présence d’arthrose du genou, en soit, est peu associée à la présence de douleur mais la sévérité accrue de ces changements augmente le risque de douleur au genou. Il est intéressant de constater qu’un grand nombre de gens présentent des changements dégénératifs important du genou mais n’ont pas de douleur.  Ce qui nous amène inévitablement à la question pourquoi certain ont mal et d’autre pas?

Là entre en scène le phénomène de sensibilisation du système nerveux et la présence de facteurs psycho-sociaux.  Gwilym et al ont écrit un intéressant article sur le sujet en 2008.  En fait, on peut résumer simplement en disant que les facteurs qui peuvent accroitre la sensibilité du système nerveux vont amplifier les stimuli afférents provenant du genou et ainsi augmenter le niveau de menace attribué par le cerveau à certain de ces stimuli, rendant alors plus élevée la probabilité que les changements dégénératifs observés deviennent douloureux. Ainsi, si une personne est génétiquement prédisposée  au phénomène de sensibilisation centrale, si elle a des facteurs psycho-sociaux aggravants tels qu’un niveau élevé de stress et d’anxiété ainsi que la présence de craintes vis-à-vis l’activité physique, elle voit alors les chances que son arthrose deviennent douloureuse augmenter.

Dans un second temps, non seulement le lien entre la dégénérescence articulaire et la douleur est complexe et souvent faible, mais les facteurs qui semblent à l’origine de la dégénérescence sont aussi mal compris.  Bien qu’il soit fréquemment proposé que des facteurs mécaniques tels que le manque de force de certains groupes musculaires, la présence de mauvais schèmes de mouvements ou des facteurs environnementaux soient des éléments précurseurs importants dans la genèse de l’arthrose, des études récentes (1-2-3-4) démontrent que ces facteurs semblent jouer un rôle plutôt faible.  Ces caractéristiques sont souvent présentes chez les gens en douleur, néanmoins on les observe une fois la douleur présente.  Ils ont un caractère prédictif très faible dans la majorité des études longitudinales examinant les facteurs de risque de l’arthrose et de la douleur.  La génétique semblerait jouer un rôle nettement plus important que tous les facteurs mécaniques et environnementaux réunis pour expliquer la présence et le niveau d’arthrose.

Le traitement
De manière générale, les approches thérapeutiques actuelles pour traiter la douleur reliée à l’arthrose au genou demeurent limitées et insuffisantes, plusieurs patients  développant des douleurs persistantes.  En physiothérapie, des données récentes permettent de conclure que la thérapie manuelle et certains exercices aident pour diminuer les douleurs reliées à l’arthrose.  Officiellement, les mécanismes par lesquels ces traitements obtiennent leurs résultats sont encore inconnus.  Le raisonnement clinique prédominant veut que la correction des schèmes de mouvements, le renforcement des muscles faibles à l’aide d’exercices ainsi que des améliorations ciblées de la mobilité de divers tissus  vont diminuer les stress mécaniques sur les tissus affectés par l’arthrose diminuant ainsi le barrage de nociception et, conséquemment, la douleur.   Puisque les facteurs mécaniques semblent jouer seulement un rôle de second plan, il est peu probable que les effets bénéfiques soient principalement obtenus par ces mécanismes.  

Les effets de la thérapie manuelle sur la douleur au genou
Il est de plus en plus évident que la thérapie manuelle obtient ces effets analgésiques grâce à des mécanismes neurophysiologiques (5).  De plus, les effets mécaniques proposés ont peu de supports scientifiques et certains d’entre eux ont une plausibilité biologique préalable un peu ténue.  Différentes techniques de thérapie manuelle (MWM, manipulation et mobilisation) ont démontré la capacité de diminuer la sensibilité du système nerveux central en influençant, entre autre, les seuils de perception de douleur à la pression et le phénomène de sommation temporelle lors de douleur reliée à la chaleur (voir entre autre ici).  Ces effets sont immédiats, mais disparaissent cependant dans les heures qui suivent le traitement.  Ensuite, une étude récente démontre qu’une exposition répétée à de nouvelles stimulations tactiles crée une neurogénèse dans la moelle épinière.  Parmi les nouveaux neurones créés, on retrouve une grande quantité d’interneurones inhibiteurs GABA.  Hors, ces neurones jouent un rôle important dans la voie descendante inhibitrice du système nerveux central (SNC).  Cette voie semble fonctionner de manière sous-optimale chez les patients souffrant de douleur persistante reliée à l’arthrose.  Troisièmement, tel que je l’ai mentionné dans un récent commentaire, des changements corticaux chez les gens souffrant de douleur chronique impliquent des anomalies dans la représentation virtuelle des membres.  Il est probable que les stimulations tactiles générées par la thérapie manuelle aident le cerveau à rafraichir son schéma corporel, contribuant ainsi à la diminution de la douleur.  Finalement, il est aussi de plus en plus évident qu’un important effet positif de la thérapie manuelle est attribuable à un mécanisme non-spécifique relié à l’anticipation positive et au conditionnement.  Ces effets constituent en bonne partie ce que l’on considère comme l’effet placebo.  Ainsi, le contexte thérapeutique créé par le thérapeute et sa capacité à adéquatement maximiser l’anticipation d’un effet analgésique par un choix de techniques compatibles avec le système de croyance du patient vont certainement jouer un rôle prépondérant dans les résultats cliniques.

La combinaison de ces différents effets neurophysiologiques immédiats temporaires à ceux plus cumulatifs explique possiblement une bonne partie des effets positifs de la thérapie manuelle pour diminuer la douleur reliée à l’arthrose du genou.  En amenant temporairement puis graduellement de manière plus durable une diminution de la sensibilité du SNC, la thérapie manuelle peut ainsi contribuer à diminuer la connotation menaçante que le cerveau attribue aux stimuli provenant du genou arthrosé.  À  noter, le choix exact des techniques de traitement est fort probablement moins important avec ce genre de raisonnement.

Les effets de l’exercice
Les exercices de renforcement ont une efficacité démontrée pour diminuer la douleur reliée à l’arthrose du genou.  Cependant, il est questionnable que le gain de force généré par ces exercices soit le principal déterminant de la diminution de la douleur puisque, entre autre, la perte de force semble peu associée à l’apparition de la douleur au genou (2-3).  Une récente étude démontre cependant que les exercices résistés du genou provoque une libération intra-articulaire et péri-synoviale d’interlukine-10, une cytokine anti-inflammatoire.  Les effets analgésiques de ces exercices sont donc possiblement davantage associés à cette libération qu’à une augmentation de la force.  Quant aux exercices de contrôle moteur, il est possible que ceux-ci aident à obtenir un effet analgésique en rétablissant un schéma virtuel plus optimal grâce à l’attention soutenue du patient sur le membre douloureux durant ce type d’exercices.

Conclusion
En somme, il est parfaitement possible d’expliquer les effets bénéfiques des traitements actuels utilisés en thérapie manuelle par des mécanismes autres que ceux habituellement proposés.  Cet exemple du traitement de la douleur reliée à l’arthrose du genou le démontre bien.  Il faut aussi se rappeler que, peut-importe le mécanisme, ces traitements ont une efficacité limitée.  Une meilleure compréhension des mécanismes analgésiques de ces traitements pourra possiblement aider à les raffiner.  Par ailleurs, les échecs thérapeutiques ne sont possiblement pas dus à l’inhabileté du thérapeute à trouver la bonne dysfonction mais plutôt à la capacité restreinte de diminuer la sensibilité du SNC qu’ont ces différentes modalités de traitement.  Ainsi, face à une présentation douloureuse plus complexe, dans laquelle le patient a des facteurs aggravants, tel que la présence de facteurs psycho-sociaux ou génétiques associés, il est possible que les modalités traditionnelles n’arrivent pas à désensibiliser suffisamment le SNC, échouant ainsi à diminuer la douleur de façon satisfaisante.

mercredi 9 mars 2011

Un nouveau modèle pour la thérapie manuelle ?

En 2009, j’ai passé mon examen intermédiaire en thérapie manuelle, anciennement appelé la Partie A.  L’étude qu’a nécessitée la passation de cet examen m’a amené à sortir du cadre habituel de connaissances véhiculé en thérapie manuelle.  Le modèle profond de la thérapie manuelle orthopédique en est un de structure, et ce, depuis plusieurs années.  Au fil de mes lectures (beaucoup de littérature scientifique et des discussions enflammées sur le forum SomaSimple.com), j’ai réalisé que ce paradigme, essentiellement basé sur la biomécanique ou plutôt sur la patho-biomécanique, souffrait de défauts majeurs.  

Mes principaux constats d’alors furent les suivants :

1.      Les forces manuelles utilisées en thérapie manuelle sont insuffisantes pour changer le tissu conjonctif mature de façon permanente.  Que l’on parle de capsules articulaires, de muscles ou de fascias.
2.      Les facteurs mécaniques (raideurs, posture, force musculaire, alignement corporel, gestes répétitifs,…) sont de pauvres prédicateurs de douleur ou de la persistance de celle-ci.
3.      L’examen biomécanique en thérapie manuelle a une validité et une fidélité passable tout au plus.
4.      La douleur est immensément plus complexe qu’un simple apport d’information nociceptive par les fibres A-delta et C.
5.      Le cerveau et le SNC central jouent un rôle d’avant plan (le rôle titre en fait!) dans la douleur.  Ils peuvent moduler l’information sensorielle à un tel point que même des stimulations non menaçantes peuvent créer de la douleur.
6.      Plusieurs des anomalies structurales telles qu’imagées sur les IRM et rayon-X sont en réalité le reflet normal du vieillissement et sont davantage influencées par la génétique que par de quelconques raideurs, mauvaises habitudes posturales ou façons de forcer.  Elles sont très, très fréquemment asymptomatiques
7.      Il existe des évidences qui pointent vers l’adoption d’un modèle alternatif, davantage neurophysiologique, pour expliquer les bienfaits de la thérapie manuelle.
8.      Finalement, plusieurs des concepts thérapeutiques que nous utilisons ont des bases scientifiques plutôt ténues voire inexistantes.

Un autre constat, soulageant celui-là, est qu’il était normal que mon taux d’échec thérapeutique soit somme toute assez élevé. Les études concluent généralement à l’efficacité seulement partielle de la thérapie manuelle et la physiothérapie en générale pour traiter la majorité des douleurs de plus de 3 mois. Je n'avais plus à me blâmer de pas avoir su trouver LA dysfonction, le bon niveau, le bon muscle à renforcer.  Je n'avais plus à m'inscrire dans d'innombrables cours à la recherche de nouvelles techniques d'évaluation pour traiter toutes ces dysfonctions mécaniques difficilement décelables.  Exit ce si grand besoin de spécificité.   De plus, il semble qu'il n'y ait nul besoin d'être hyper-spécifique pour obtenir ces résultats positifs lorsque présents.   

Néanmoins, malgré tout ses défauts, le modèle thérapeutique qu’on m’avait enseigné et que j’avais fait mien m’avait tout de même permit d’obtenir de bons résultats à maintes reprises.  Comment, alors, expliquer ce constat?  Un modèle erroné qui semble mal comprendre les mécanismes de la douleur qui permet quand même de diminuer voire éliminer complètement cette dernière.  J’ai alors écrit mon premier article «scientifique».  J’ai fait une revue éditoriale sur les mécanismes d’action de la thérapie manuelle dans laquelle j’ai critiqué plutôt sévèrement, il faut le reconnaitre, le modèle que je crois être le modèle prévalent en thérapie manuelle.  J’ai alors opposé ce modèle biomécanique à un modèle plus neurophysiologique que je crois plus plausible.  Évidemment, dans notre domaine rien n’est complètement noir ou complètement blanc, mais l’article se voulait percutant pour inciter à la discussion.  Je n’ai finalement pas réellement tenté de le faire publié, mais il est disponible depuis maintenant environ 1 ans sur le web à plusieurs endroits et il est cité par plusieurs auteurs de blog sur la physiothérapie et la douleur.  Je vous recommande de le lire puisqu’il met en quelque sorte la table pour mon commentaire prochain sur le traitement des douleurs au genou.

The traditionnal mechanistic paradigm in the teaching and practice of manual therapy : Time for a reality check.