La recherche dans le domaine de la physiothérapie est en pleine expansion. Il y a tellement d’articles publiés que c’est presque impossible de suivre tout ce qui est publié. Pourtant, la plupart de ces articles ne sont que très rarement lus par les cliniciens. Certainement qu’il y a des obstacles financiers importants pour expliquer cela. Néanmoins, c’est mon impression personnelle qu’il semble manquer d’intérêt de la part des cliniciens pour la recherche en général. Même si les articles étaient gratuits, je ne sais pas s’ils seraient lus davantage. Possiblement qu’une des raisons qui explique cela vient du fait que la recherche porte souvent un regard critique sur les pratiques cliniques et souvent les résultats des essais randomisés (RCT) sont peu favorables aux théories prisées par la majorité des cliniciens. En fait, face à des résultats défavorables lors d’essais cliniques, les cliniciens vont régulièrement défendre leur traitements et leur raisonnement clinique en argumentant, souvent à l’aide d’anecdotes, que ça fonctionne pour eux. Indépendamment des résultats peu concluant des RCT, ils remarquent que leur patients s’améliorent à bon rythme lorsque sous leur bons soins et donc, concluent que leurs traitements sont efficaces et que la recherche doit se tromper. Possiblement que les chercheurs se trompent, c’est une possibilité effectivement. Peut-être que le caractère rigide de la recherche ne permet pas de prendre en compte toutes les subtilités de leur pratique, disent-ils. Ou encore, selon eux, les chercheurs n’appliquent pas adéquatement les principes de traitements enseignés et ainsi cela a un impact négatif sur les résultats des RCT. Ces arguments méritent que l’on s’y attarde certes, néanmoins, les bons chercheurs prennent énormément soins de bien concevoir leur devis de recherche. Ainsi, si prise de façon unitaire une seule étude ne permet pas de capturer adéquatement la pratique clinique, prises collectivement, les évidences multiples provenant de l’ensemble de la recherche permettent généralement de se faire une bonne idée de ce qui s’approche le plus de l’état des connaissances actuelles. Comment expliquer alors, ces différences souvent considérées comme importantes? Je vais proposer dans les prochaines lignes quelques raisons permettant d’expliquer cette apparente différence d’efficacité entre la pratique et la recherche.
Tout d’abord, l’effet placebo. Les bons RCT ont toujours un groupe contrôle qui se fait administrer un traitement dit inerte. Hors, ce groupe va aussi bénéficier du «traitement» même si l’efficacité de celui-ci n’est pas en lien directe avec la technique de traitement retenue. Des effets non-spécifiques tels que ceux reliés à l’anticipation de résultats positifs créés par l’ensemble de l’acte thérapeutique vont fortement participer à l’amélioration accrue observée dans les groupes placebo lorsqu’ils sont comparés à des groupes de listes d’attente. Ainsi, le groupe qui a reçu le vrai traitement doit non-seulement faire mieux que les gens qui ne reçoivent pas de traitement mais ils doivent aussi faire mieux que ceux qui reçoivent un traitement dit inerte pour être considéré comme efficace. Une proportion (possiblement importante) de l’amélioration remarquée lors d’un épisode de soins doit donc être attribuée à ce phénomène complexe qui crée la réponse placebo.
Deuxièmement, il y a une multitude de facteurs autres qui peuvent influencer l’amélioration du patient lors d’un épisode de traitement laissant ainsi l’impression que le patient s’est réellement amélioré grâce à nos bons soins. Parmi ces facteurs on retrouve la régression de la condition du patient vers la moyenne. Cela fait référence au fait que la majorité des conditions musculo-squelettiques sont cycliques et que les patients consultent généralement lorsque leur symptômes atteignent un niveau de douleur inhabituellement élevé. L’amélioration subséquente peut donc être simplement reliée à la fin de l’épisode plus douloureux et le retour vers l’état habituel de la condition. Dans la même veine, on ne peut exclure que la disparition complètes des douleurs soit simplement du à l’évolution naturelle de la pathologie et pas du tout à l’épisode de soin en cour. Il faut aussi considérer la possibilité que d’autres facteurs présents de façon concurrente au traitement ont influencé favorablement la condition du patient. Par exemple, la prise de médication, le recours à d’autre forme de traitement, une diminution du stress ou une amélioration de la condition psycho-sociale du patient.
De plus, des biais de jugement reliés au patient et au thérapeute vont influencer la perception de résultats positifs. Ainsi, un patient qui a investi temps et argent dans le traitement, cherchera aussi certainement à se cautionner dans cette aventure et cela risque d’amplifier la perception de résultats positifs qui autrement ne seraient pas significatifs. Dans le même ordre d’idée, il est aussi possible que le patient embellisse les résultats du traitement pour ne pas décevoir son thérapeute qui a investi beaucoup d’effort dans l’atteinte d’une solution à ses douleurs.
Du côté du thérapeute, il y a des phénomènes similaires. Le thérapeute ayant investis temps et argent dans sa formation fera certainement face à une dissonance cognitive importante lorsque des évidences défavorables lui seront présentées. Cela aura pour impact de le rendre très critiques faces à celle-ci et il aura possiblement tendance à minimiser les résultats négatifs. Il se peut aussi qu’il y ait un biais de remémoration inconscient en faveur des patients qui se sont davantage améliorés. Ainsi, le thérapeute peut avoir tendance à oublier les patients pour qui les soins ont été inefficaces. Il est aussi possible que, lorsque face à l’échec, le thérapeute ait tendance à attribuer à d’autres causes que le traitement lui-même cet échec. Par exemple, il se pourrait que le patient soit accusé de ne pas avoir fait suffisamment les exercices. Évidemment, l’argent joue aussi un rôle important dans l’aveuglement involontaire envers les évidences défavorables. Après tout, le thérapeute gagne sa vie en vendant un service qu’il prétend efficace. Il est donc certainement envisageable qu’un évitement inconscient des résultats défavorables s’opère. Ce phénomène risque d’être encore plus vrai pour des actionnaires de clinique, la pression financière étant plus forte.
Ces exemples ne sont qu’un survol des raisons pour lesquelles de simples observations empiriques de l’amélioration de nos patients ne suffisent pas à démontrer l’efficacité de nos traitements. Ces observations ne peuvent se substituer à une méthode scientifique rigoureuse qui prend les moyens de contrôler les facteurs pouvant confondre les conclusions tirées de simples observations. Par contre, les évidences scientifiques ne peuvent pas non plus remplacer le jugement clinique et l’expérience. Au contraire, elles doivent s’y greffer pour permettre un raisonnement clinique optimal. En sommes, il existe plusieurs raisons faisant en sorte que parfois les données scientifiques semblent aux antipodes de nos observations journalières. Mais avant de conclure que la recherche se trompe, il serait préférable de se poser quelques questions.
Références : pour une lecture plus approfondie sur le sujet voir cet article de Barry Beyerstein, PhD