samedi 26 février 2011

Douleur, nociception et sémantique

Je lis beaucoup de littérature scientifique.  Je lis beaucoup sur la neurophysiologie de la douleur et sur la thérapie manuelle.  Dans mes lectures, il y a une erreur de terminologie commise fréquemment qui me dérange de plus en plus.  Dans plusieurs textes, on intervertit souvent les termes douleur et nociception comme si ceux-ci étaient des synonymes. Pourtant il y a une différence majeure entre les deux.  La nociception est définie par l’IASP comme le processus neurologique d’encodage et d’analyse des stimuli nocifs.  La douleur est plutôt définie comme ceci : « La douleur est une expérience sensorielle et émotionnelle désagréable associée à un dommage tissulaire existant ou potentiel ou décrite en terme d'un tel dommage ».

Il est très important de noter ici que la nociception n’est pas un synonyme de douleur. La douleur est d’ailleurs possible même en l’absence de nociception.  La douleur du membre fantôme en est un exemple éloquent.  La nociception n’est pas une sensation mais plutôt un type de stimulation.  La douleur, elle, est toujours le résultat d’une complexe analyse d’une multitude d’informations sensorielles qui se fait à différents paliers dans le système nerveux.  Au bout du compte, la douleur est comme un «output» du cerveau vers la conscience.  Il n’y a jamais de «douleur» qui entre dans le cerveau pour qu’il la sente.  C’est toujours le cerveau qui crée la douleur.  Cette douleur est par la suite ressentie dans la représentation virtuelle du membre pour lequel le cerveau croit qu’il est pertinent qu’elle soit ressentie.   

Voilà pourquoi il est erroné de parler des voies neuronales de transmission de la douleur, de dire que les fibres A-delta et C transmettent la douleur vers le cerveau.  La voie spino-thalamique n’est pas la voie de la douleur.  Ces voies et ces fibres transmettent plutôt l’information nociceptive.  Certains diront que c’est de la sémantique, mais la distinction est d’une importance capitale car il est fréquemment rencontré lors de discussions, d’exposés magistraux et de lectures d’articles que la nociception soit traitée comme s’il s’agissait de douleur alors qu’il n’en n’est rien.  

Cela semble, en fait, démontrer une incompréhension des mécanismes fondamentaux du fonctionnement de la douleur.  Ou peut-être est-ce seulement pour simplifier la discussion.  Néanmoins,  on ne peut pas dire qu’un tissu particulier est la source de la douleur en tant que tel.  On peut dire qu’il est une source potentielle de nociception mais jamais de douleur.  La douleur c’est dans le cerveau que ça commence et fini d’exister.  Ça n’existe pas dans les tissus.  Puisqu’il est parfaitement possible de ressentir de la douleur sans nociception et qu’il est aussi possible de ne pas ressentir de douleur en présence de nociception, on ne peut jamais intervertir ces deux termes sans prendre un raccourci risqué sur le plan du raisonnement clinique.  Comme mentionné dans le commentaire sur la sensibilisation centrale, il est fort possible que la douleur subsiste en l’absence de nociception.  Si l’on se pose la question : de quel(s) tissu(s) provien(nen)t les symptômes, on risque de chercher longtemps car les symptômes ne proviennent d’aucun tissu, d’autant plus qu’il n’y a possiblement même plus de nociception impliquée.

Cette erreur fréquente, issue du paradigme biomédical/biomoléculaire traditionnel voulant que la source de la douleur se retrouve dans les tissus est très répandue tant en physiothérapie qu’en médecine.  La majorité des approches de traitement s’attardent surtout aux tissus.  Même dans mon examen canadien de Partie A il y avait une question qui ressemblait beaucoup à cela : 

«Veuillez dresser une liste des structures occasionnant le plus probablement les symptômes dans chaque région. Notez qu’un point sera alloué pour chaque type de structure. (somatique local, somatique référé, neurogène, vasculaire, viscérale)»

Encore une fois, cela insinue que la douleur (souvent le symptôme principal) provient d’un tissu.  Cela sous-entend aussi que pour qu’il y ait douleur, un tissu doit absolument signaler une stimulation nociceptive vers le SNC.  Est-ce qu’en thérapie manuelle un tissu se doit d’être impliqué pour qu’une douleur soit ressentie?  Ce type de question laisse sous-entendre que oui.  Pourtant, il est clairement démontré que ce n’est pas le cas.

On se demande aussi souvent si la douleur est mécanique ou inflammatoire.  Il serait peut-être plus pertinent de commencer par se demander si la nociception est impliquée dans la sensation de la douleur.  Est-ce une «douleur nociceptive» ou non?  Et si oui, qu’elle importance relative a-t-elle dans l’intensité de la douleur.

Les mots ont une signification, ainsi, ceux que nous choisissons sont importants.  Ils sont souvent le reflet de notre compréhension des choses.  Il est capital selon moi qu’une attention particulière soit apportée aux termes choisis lorsque l’on parle de la douleur et de ses «sources».

1 commentaire:

  1. Bonsoir,

    Je trouve votre blog très intéressant, je dirai même passionnant! je suis un étudiant en dernière année d'ostéopathie en France et dans la rédaction de mon mémoire, je trouve dans vos écrits beaucoup d'éléments rappelant au combien la compréhension de la douleur ainsi que son mécanisme tant sur le plan psychique que neurophysiologique s'avèrent être essentiel. A ce sujet je voulais savoir quel était votre avis sur la manifestation visuelle de la douleur (la position antalgique,le comportement du patient) et l'utilité de l'observation, inspection du patient et de sa plainte?

    Encore merci pour la richesse de ce blog.

    Bien cordialement.

    A.PikV

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