lundi 7 février 2011

L'ostéopathie crânienne et la fée des dents

Il y a une toute nouvelle étude (6) sur la thérapie crânio-sacrée présentement dans le journal Clinical Rehabilitation. L’étude en question est un essai randomisé (RCT) sur l’effet de la thérapie crânio-sacrée sur la fibromyalgie.  La conclusion est que cette thérapie permettrait de diminuer la douleur chez les patients souffrant de fibromyalgie.  Wow!  Le crânien ça marche on dirait!

C’est mon observation personnelle que la popularité de l’ostéopathie est en croissance autant parmi nos rangs que chez les patients en général.  De plus en plus de formations continues sur la thérapie crânio-sacrée sont offertes aux physiothérapeutes.  Pourquoi cet engouement?

Grosso modo, la thérapie crânienne aiderait en «normalisant» le flot du liquide céphalo-rachidien et/ou la mobilité des os du crâne entre eux (je sais que c’est plus complexe mais je veux garder ce commentaire concis).   Selon l’explication qui vous convient cela aura un impact liquidien et/ou mécanique sur le corps et, par une cascade d’effets, cela aiderait à diminuer la douleur.  C’est sûr que c’est séduisant.  Les traitements sont doux, un peu mystérieux et le thérapeute semble posséder un don particulier lui permettant de sentir ce que le pauvre mortel ne peut.  Le problème, et il est gros, c’est que ça ne tient pas la route du tout.

J’entends déjà la rumeur du désaccord avec mes propos mais pourtant ceux-ci sont fondés.  J’ai moi-même une expérience en thérapie crânienne et il n’y a tout simplement pas d’évidence scientifique sérieuse pour supporter les mécanismes prétendus de l’ostéopathie crânienne (CST).  Il n’y a que des essais cliniques de qualités discutables sur son efficacité.  Regardons cela de plus près.  

Bien que l’existence d’un rythme pulsatile du liquide céphalo-rachidien soit supportée par certaines études, il n’y a aucune évidence de qualité permettant de savoir si un thérapeute peut fidèlement évaluer ce rythme (1,2,4,5).  De plus, il n’y a aucune évidence qu’une anomalie de ce rythme soit en lien avec un quelconque problème musculo-squelettique.  

Ensuite, un des effets proposé du «crânien» est que le thérapeute améliorera la mobilité des sutures crâniennes à l’aide de pressions très précises et délicates sur le crâne. Puisqu’il n’y a pas de fusion complète des sutures, cette capacité serait bien intéressante.  Cependant, il a été bien démontrée (5) que les forces requises pour amener ne serait-ce qu’un minuscule mouvement des sutures crâniennes excèdent largement celles qui sont exercées par les praticiens.  Alors, exit l’amélioration de la mobilité des sutures crâniennes par la CST, ça ne se peut tout simplement pas.

Troisièmement, les méthodes d’évaluation du rythme crânio-sacré ne sont ni valides, ni fidèles (1,2,4,5).  En d’autres mots, Il est impossible de savoir si les conclusions du thérapeute représentent vraiment un trouble du rythme crânio-sacré et les conclusions de différents thérapeutes évaluant tous le même crâne seront tous plutôt différentes.  Comment donc accorder une valeur à ce type d’évaluation sans validité de construit et sans reproductibilité.

Clairement, le simple fait que les mécanismes d’action ou les méthodes d’évaluations du CST soient très questionnables ne veut pas dire que ce doit être abandonné pour autant.  D’ailleurs, la thérapie manuelle orthopédique souffre de problèmes similaires et le traitement des douleurs lombaires en est un bon exemple.  Cependant, il existe plusieurs RCT pour démontrer l’efficacité de cette dernière forme de traitement.  On ne peut vraiment pas en dire autant de la thérapie crânienne.  Malgré son utilisation depuis plus de 50 ans, il n’y a toujours pas d’évidence scientifique de qualité sur son efficacité.  Ah! Oui, j’oubliais l’étude citée ci-haut sur le traitement de la fibromyalgie. 

Voilà, c’est là tout le problème de la littérature sur le crânien, les essais cliniques sont d’une qualité très ordinaire.  Dans cette étude de Sanchez et al, on a d’un côté 60 minutes de thérapie crânienne incluant une interaction thérapeutique individuelle continue ainsi qu’un contact manuel doux et intime contre 30 minutes de … magnétothérapie débranchée!!!!

Dans le groupe placebo le patient a de la magnétothérapie, ne ressent absolument rien et, en prime, il n’a aucune réelle interaction thérapeutique avec le thérapeute.  Ça doit être réellement convaincant ce traitement placebo…  Il y a une abondance d’évidence sur l’effet placebo et il est clair que l’anticipation de résultats positifs est un facteur clé.  Pour cela, l’intervention du groupe placebo doit avoir un minimum de plausibilité pour être convaincante.  Il est fort probable que ce traitement de magnétothérapie débranchée n’a même pas produit de réponse placebo (ou très peu) chez les sujets de cette étude.  Malheureusement puisqu’il n’y avait pas de groupe sans traitement, il est impossible de confirmer cela.  Par contre, puisque l’anticipation de résultats positifs joue un rôle important dans le soulagement de la douleur lors d'un traitement manuel (3), il est fort possible que tous les effets positifs notés dans le groupe traitement (CST) de cette étude ne soient dus qu’à la seule anticipation positive des patients et pas du tout à la prétendue normalisation d’un quelconque paramètre crânio-sacré.  

Les mécanismes prétendus de la CST ne reposent sur aucune base scientifique validée (1,2,4,5).   Ils n’y a pas d’évidence scientifique de qualité démontrant son efficacité et encore moins sur le lien entre les  le rythme crânio-sacré et la santé.  Dans un tel cas, il faut se baser sur sa plausibilité scientifique préalable.  Or, il est clair que les connaissances scientifiques actuelles permettent d’affirmer que cette thérapie n’a pas de plausibilité préalable dans sa forme actuelle.  Dans un tel contexte, elle ne devrait pas, sous aucun prétexte, être vantée ou utilisée par un membre de l’OPPQ.  L’argumentation habituelle des praticiens de cette thérapie tient essentiellement sur le fait que la science ne peut vraiment tester les prétentions de la CST et sur une foule d’anecdotes de succès retentissant.  Le premier argument est facile mais fallacieux.  La méthode scientifique étant très bien outillée pour évaluer plusieurs des facettes de la CST.  Quant aux anecdotes, elles sont ce qu’elles sont, c’est-à-dire des histoires bien intéressantes sans plus.  L’utilisation du rasoir d’Occam permet d’ailleurs de trouver des explications bien simples pour expliquer les évènements de la plupart d’entre-elles.

Finalement, les connaissances actuelles en neurophysiologie de la douleur permettent de penser qu’il est tout de même plausible que l’application des mains d’un thérapeute sur le crâne d’un patient peut potentiellement avoir une certaine vertu thérapeutique dans certaines conditions douloureuses.  Ainsi, dans ce contexte, il est possiblement indiqué que des études d’efficacités indépendantes soient entreprises pour valider une telle hypothèse.  Dans l’éventualité de résultats favorables, la pratique d’une certaine forme de thérapie manuelle sur le crâne (ou plutôt sur la peau de la tête) pourra possiblement être alors cautionnée et encadrée.  Cette forme de thérapie serait certainement simplifiée et dénudée de tout l’aura de mysticité qui entoure sa pratique actuelle.  Entre temps, les théories folkloriques derrière l’utilisation de la thérapie crânio-sacrée sont aussi probables à mes yeux que l’existence de la fée des dents!

  1. Complement Ther Med. 1999 Dec;7(4):201-7. A systematic review of craniosacral therapy: biological plausibility, assessment reliability and clinical effectiveness. Green C, Martin CW, Bassett K, Kazanjian A.
  2. International Journal of Osteopathic Medicine Is there a place for science in the definition of osteopathy? December 2007 (Vol. 10, Issue 4, Pages 85-87) Nicholas P. Lucas, Robert W. Moran 

2 commentaires:

  1. bravo pour ce bla-bla. vous parlez d'un sujet que vous ne connaissez pas.
    cela fait 3 ans à raison de 70h par semaine que je fais des traitements crâniens associé à un traitement par gouttière (ATM), semelles et orthoptie.
    quand on travaille un crane avec une certaine force bizarrement les gens sentent leurs douleurs lombaires, genou, hanche pieds.
    bref, je suis d'accord qu'il n'y a pas d'étude mais certaines techniques sont plus efficaces que les manipulation vertébrales.
    donc trouvez les bons thérapeutes et vous verrez.....
    cordialement.

    seb kuntz

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  2. M. Kuntz,

    Il se trouve que je discute d'un sujet que je connais très bien. Je n'ai pas dit que le fait de faire des traitements sur la tête ne pouvait influencer les douleurs des patients :

    «Finalement, les connaissances actuelles en neurophysiologie de la douleur permettent de penser qu’il est tout de même plausible que l’application des mains d’un thérapeute sur le crâne d’un patient peut potentiellement avoir une certaine vertu thérapeutique dans certaines conditions douloureuses»

    Toutefois, si vous faite un peu de recherche dans un sujet que vous connaissez vraisemblablement insuffisamment, la neurophysiologie de la douleur et du SNC, vous trouveriez une explication alternative, plus scientifiquement plausible pour expliquer ce qui se passe avec vos patients. Un peu de lecture sur les recherches des F. Benedetti, S.Z.George, Bialosky, Woolf, Wall et Moseley (et plusieurs autres) vous permettrait certes que regarder un peu plus critiquement vos propres interventions sur vos patients. Des évidences anecdotiques ne sont pas vraiment des évidences, seulement des anectodes!

    Je vous invite d'ailleurs à lire mon article auto-publié sur ce site pour en connaitre davantage sur le sujet.

    Merci et bonne journée

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